Hacking et désinformation : les enjeux cyber de l’offensive russe

Le 24 février 2022, le collectif d'hacktivistes Anonymous a déclaré sur son compte Twitter "être officiellement en cyberguerre contre le gouvernement russe".
Le 24 février 2022, le collectif d'hacktivistes Anonymous a déclaré sur son compte Twitter "être officiellement en cyberguerre contre le gouvernement russe". ©Getty - Bill Hinton Photography
Le 24 février 2022, le collectif d'hacktivistes Anonymous a déclaré sur son compte Twitter "être officiellement en cyberguerre contre le gouvernement russe". ©Getty - Bill Hinton Photography
Le 24 février 2022, le collectif d'hacktivistes Anonymous a déclaré sur son compte Twitter "être officiellement en cyberguerre contre le gouvernement russe". ©Getty - Bill Hinton Photography
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C'est l'autre facette de la guerre entre la Russie et l'Ukraine : la bataille dans le cyber. Entre désinformation et piratage informatique, comment s'organisent les attaques russes ? Quelles sont les menaces qui pèsent sur l'Ukraine et l'Occident ?

Avec
  • Asma Mhalla Spécialiste chercheure des enjeux politiques et géopolitiques de la Tech, membre du Laboratoire d'Anthropologie Politique (EHESS/CNRS), enseignante à Sciences Po, Ecole Polytechnique
  • Olivier Laurelli Co-fondateur de Reflets.info
  • Christine Dugoin-Clément Chercheuse associée à la chaire "risques" de l'IAE Paris-Sorbonne Business School

Depuis un peu plus d’une semaine, nous sommes rattrapés par une guerre qui se déroule sous nos yeux et à quelques milliers de kilomètres de nos frontières. Un conflit entrepris par la Russie envers l’Ukraine et dont l’issue est pour le moins incertaine.

Une guerre totale, hybride où les nouvelles technologies sont parties prenantes. Les réseaux sociaux nous la racontent à chaque seconde et sont parfois utilisés comme arme de propagande. Les GAFAM prennent position et dans l’ombre, des cyber attaques sont menées par les Russes, spécialistes en la matière. Comment jauger la dangerosité de cette menace ? Internet, ses câbles et ses satellites sont également devenus un enjeu d’information, de pouvoir et de domination… Les Russes peuvent-ils mettre en place et vivre dans leur propre réseau Internet ?

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Pour en débattre, François Saltiel reçoit Olivier Laurelli, hacker, Christine  Dugoin-Clément, analyste géopolitique et Asma Mhalla, enseignante à Sciences Po Paris.

Quelle est l’ampleur des cyberattaques en Ukraine ?

Les cyberattaques représentent l’un des deux volets de la cyberguerre définie par Asma Mhalla, enseignante à Sciences Po Paris, comme étant "l’ensemble des techniques d’action qui vont avoir lieu dans la quatrième dimension – Internet  –  en complément de techniques conventionnelles : terre, air, mer qui sont, elles, l’œuvre de stratégies militaires très classiques." Ces cyberattaques visent à déstabiliser des systèmes d’information, le fonctionnement de services sensibles des Etats et parallèlement, altérer le moral de la population et des militaires. Dans cette guerre de l’invisible, connaître l'origine d’une cyberattaque de façon certaine s’avère très complexe, c'est pourquoi il est d'usage dans le système des relations internationales actuel, de prendre les plus grandes précautions avant de désigner publiquement des responsables.

Le 24 février dernier, face à l’offensive russe, le Président ukrainien Zelensky avait lancé un appel aux hackers du pays pour aider à protéger les infrastructures ukrainiennes et pour mener des opérations offensives contre Moscou. Le collectif Anonymous, un groupe de hackers informel international, avait déclaré le même jour être en cyberguerre contre le gouvernement russe. Une déclaration qui laisse Olivier Laurelli, journaliste et hacker, sceptique : "Quand on paralyse une cible ou un réseau, il y a du renseignement militaire derrière qui essaie de travailler et on paralyse ces gens-là qui sont légitimes à faire ce travail."

Si l’Ukraine subit de nombreuses cyberattaques depuis 2014, qui, sans avoir été revendiquées officiellement par les autorités russes laissent peu de doutes sur leurs origines, les SCADA (systèmes de contrôle et d’acquisition de données) - souvent des infrastructures électriques, ne sont, pour l’heure, pas ciblés. D’après Olivier Laurelli, "L’une des plus importantes attaques de SCADA à ce jour est celle de la centrale de Natanz en Iran en 2021. Cette attaque consistait à modifier la vitesse des centrifugeuses pour ralentir le pouvoir nucléaire iranien. Ce type d’attaques est plus rare et prend des années à se mettre en place".

Désinformation omniprésente et menace d’un isolement de l’internet russe

La désinformation, deuxième volet de la cyberguerre, se déploie particulièrement en ce moment, notamment à l’ère des réseaux sociaux qui en sont de puissants relais. La Présidente de la Commission européenne, Ursula Von der Leyen, a récemment annoncé le bannissement de l’UE de deux médias d’Etat russes, Sputnik et RT. Une mesure d’ordre symbolique pour Asma Mhalla, enseignante à Sciences Po Paris : "Parce qu’on est dans la rhétorique de la guerre, pour des raisons de confrontation idéologique et parce la rhétorique russe est dans une confrontation frontale, on a décidé d’interdire ces chaînes pour des raisons davantage symboliques et politiques".

Du côté du peuple russe, il existe une scission dans la population au niveau de la perception de l'information, selon Christine Dugoin-Clément, analyste géopolitique : "Il y a beaucoup d’écarts et de décalages car il y a des gens qui vont chercher des informations à l’extérieur et d’autres qui sont dans des petites villes qui vont aller consulter les médias traditionnels." 

Autre menace : celle d’un isolement de l’ internet russe du reste du monde, c’est-à-dire un internet qui ne pourrait plus donner accès à des sites étrangers. Mais pour l’instant les essais menés par le gouvernement russe ne sont pas concluants. Pour ce qui est d’endommager les câbles sous-marins qui permettent de fournir Internet au monde entier, l’opération est difficilement réalisable pour Olivier Laurelli.

La Grande Table idées
32 min

Les invité(e)s

Christine Dugoin-Clément, analyste géopolitique au sein du think tank CAPEurope, spécialiste de l'Ukraine et des enjeux géopolitiques cyber,  autrice de Influence et manipulations : Des conflits armés modernes aux guerres économiques (VA Edition, 2021)

Asma Mhalla, enseignante à Sciences Po Paris, spécialiste des enjeux géopolitiques de l’économie numérique

Olivier Laurelli, journaliste et hacker connu sous le pseudonyme de Bluetouff, co-fondateur du média Reflets.info

Une émission en partenariat avec Numerama. Retrouvez chaque semaine les chroniques de Marie Turcan et Marcus Dupont-Besnard.

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