Splendeurs et décadences de la Silicon Valley

L'université de Stanford, ouverte en 1885, a formé de nombreux entrepreneurs
L'université de Stanford, ouverte en 1885, a formé de nombreux entrepreneurs ©Getty - David Pu'u
L'université de Stanford, ouverte en 1885, a formé de nombreux entrepreneurs ©Getty - David Pu'u
L'université de Stanford, ouverte en 1885, a formé de nombreux entrepreneurs ©Getty - David Pu'u
Publicité

Devenue un terme générique pour qualifier l’univers de la Tech dans le monde, on oublie parfois que la « Silicon Valley » est un lieu en Californie, marqué par une histoire culturelle complexe. Quels sont les mythes fondateurs de ce lieu ? Et qu'est-ce que vivre dans la Silicon Valley aujourd'hui ?

Avec

Ce soir on voyage vers la Silicon Valley à San Francisco, pour mieux comprendre comment s’est structuré ce lieu névralgique des nouvelles technologies, le QG des Gafam, là où se pensent le nouveau monde. Que reste-t-il du mythe de la vallée, de son utopie fondatrice et de ses fantasmes ?

Cette « place to be » est-elle concurrencée par de nouvelles zones, en Chine ou ailleurs ? Fait-elle toujours rêver les entrepreneurs en quête de succès ? Enfin dans notre ère techno-critique, comment se remet-elle des multiples scandales qui agitent les multinationales ? Pour en parler nous recevons :

Publicité

Fabien Benoît, journaliste et auteur de The Valley: une histoire politique de la Silicon Valley (Ed. Les Arènes, 2019)

Olivier Alexandre, docteur en sociologie, chercheur au CNRS, membre du Centre Internet et Société du CNRS

Elsa Jungman, fondatrice de la start-up Elsi Skin health, basée à San Francisco

Une émission en partenariat avec Numerama. Retrouvez chaque semaine les chroniques de Marie Turcan et Marcus Dupont-Besnard.

La Silicon Valley : un lieu et une histoire culturelle

Avant d’explorer la dimension culturelle de la Silicon Valley, il faut rappeler son ancrage géographique : si elle ne correspond pas à une entité administrative aux Etats-Unis, la Silicon Valley est une bande de terre qui s’étend en plein cœur de la Californie sur une centaine de kilomètres, allant du nord de San Francisco au sud de San José. La Silicon Valley compte aujourd’hui environ trois millions d’habitants et abrite les sièges sociaux de multinationales notoires comme Apple, Adobe Systems ou encore Google et Tesla.

Quant à l'aspect historique de ce lieu emblématique, la Silicon Valley est avant tout une histoire américaine, puisque la Californie devient l’eldorado des pionniers américains dans la deuxième moitié du 19ème siècle, lors de la conquête de l’ouest. Pour l’auteur et journaliste Fabien Benoît, l'histoire de ce lieu influence aujourd'hui encore les habitants de la Silicon Valley : « La Silicon Valley est innervée par une mythologie qui est proprement américaine (…) et ça rejaillit dans le langage. Je pense à cette expression de « tech évangéliste », à l’idée de frontières, il y a l’idée de recommencer le monde, de changer les règles. »

La Silicon Valley représente une force attractive majeure pour les entrepreneurs du monde entier depuis des décennies. C'est dans cette vallée qu’a été inventé le micro-processeur en 1958, indispensable à tous les équipements électroniques modernes. C’est aussi au cœur de la Silicon Valley que Steve Jobs et Steve Wozniak créent la société Apple dans un garage, devenu un lieu de pèlerinage. Au début des années 2000, la Silicon Valley connaît une période de frénésie avec des créations d’entreprise numérique en tout genre, avant l’explosion de la bulle internet. Aujourd'hui, les investisseurs sont nombreux et les opportunités semblent infinies dans la Silicon Valley, ce qui pousse de nombreux entrepreneurs à s’y installer. « Lorsque l'on arrive là-bas, il y a un effet de fascination très fort et aussi d’engouement, d’émulation qui est très frappant. (…) Mais c’est un enchantement qui est souvent périssable pour les entrepreneurs. » explique le sociologue Olivier Alexandre.

La Grande table idées
34 min

La Silicon Valley sous le feu des critiques

Si la Silicon Valley est le lieu de tous les possibles dans l’imaginaire collectif, l’aventure entrepreunariale peut en effet parfois s’avérer brutale. Elsa Jungman, entrepreneure française fondatrice de la start-up Elsi Skin Health basée à San Francisco, a par exemple connu certaines difficultés au cours de sa première levée de fonds : « D’autres femmes investisseures ont été plus sensibles à mon projet que les hommes investisseurs. Mon réseau professionnel était purement américain, et je n’ai pas eu du tout de portes qui se sont ouvertes au départ, pour lever les premiers fonds. ». Au cœur de ce paradoxe entre les discours d’ouverture, de connexion et les difficultés d’accès qui s'avèrent réelles pour les entrepreneurs, il y a la complexité de la notion de réseau selon le sociologue Olivier Alexandre : « Le réseau, c’est la forme de sociabilité la plus structurante dans la Silicon Valley. Et un réseau, il est d'autant plus fort qu'il est ouvert. Mais dans la Silicon Valley ces réseaux sont relativement structurés, fermés, hiérarchisés.  ». Si l'on s'intéresse au profil sociologique des acteurs dominants de la Silicon Valley, ils s'avèrent ainsi en tout point conformes à celui des classes dominantes au sein de nos sociétés : la majorité des entrepreneurs les plus importants sont des hommes blancs de plus de 40 ans, fortement diplômés.

Autre dérive identifiée au sein de la Silicon Valley, l’injonction à innover pour attirer les investisseurs qui peut mener à de véritables cas d’escroquerie comme ce fut le cas pour Elizabeth Holmes, fondatrice de Theranos, condamnée le 2 janvier 2022 pour avoir menti sur l’état de la recherche au sein de son entreprise. Enfin, l’utopie des débuts de la Silicon Valley, alimentée par des discours plaidant pour une société plus collaborative et égalitaire, a été largement dévoyée selon le journaliste Fabien Benoît : « Aujourd’hui on parle beaucoup dans la Silicon Valley de libertarianisme, de chacun pour soi, d’hyper individualisme. Ce sont des valeurs qui traversent aujourd’hui les mentalités de certains chefs d’entreprise comme Peter Thiel ou Elon Musk. »

Affaires étrangères
58 min