Pédophilie : tout n'est pas joué

France Culture
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Romain Farina, l'ex directeur d’école de Villefontaine dans la Nord-Isère, s'est pendu à la maison d’arrêt de Corbas. Il avait été mis en examen et écroué le 25 mars 2015 pour des viols sur ses élèves. Qu'en est-il de ses victimes ?

Je voudrais plutôt rassurer les parents dont les jeunes enfants ont eu le malheur de croiser un pédophile extérieur à la famille. D’après les témoignages que j’ai lu, leur juste colère les fait spontanément adhérer à l’idée selon laquelle le développement affectif et sexuel de leurs enfants sera irrémédiablement perturbé.

CE N’EST PAS VRAI ?

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Les pronostics concernant les humains n’ont jamais valeur de certitude et c’est heureux. Il est incontestable que les travaux sur les conséquences des agressions sexuelles ont fait changer les mentalités :la maltraitance est loin d’avoir disparu mais elle n’est plus couverte par les institutions qui ont en charge les enfants. Je rappelle au passage que ces situations médiatisées car les enfants ont été agressés en nombre ne sont pas les plus fréquentes. Ce sont les agressions individuelles par un membre de la famille ou un proche qui le sont et c’est souvent à l’école que l’enfant en parle ou manifeste des symptômes alertant les enseignants par ailleurs formés.

VOUS EN AVEZ SOIGNÉ BEAUCOUP : QU’EST-CE QUE LA CLINIQUE VOUS A APPRIS ?

Je n’ai rencontré ni les adultes qui ont été abusés dans leur enfance par les prêtres français, ni les enfants abusés récemment par l’instituteur de Villefontaine qui vient de se suicider, mais effectivement, cela me rappelle de nombreux cas dont je me suis occupée.

S’ils ont tous été abusés sexuellement, les suites sont bien différentes et probablement les conséquences le seront-elles aussi. Je m’explique :

Dans les années 80, rares sont les enfants qui se sont plaints auprès de leurs parents. Les raisons sont toujours les mêmes : la honte, la peur quand ils ont été menacés, la difficulté à trouver les mots. Ceux qui s’y sont risqués se sont heurtés à l’incrédulité, au déni et surtout à l’absence de réaction pour les mettre immédiatement à l’abri sans même parler de prévenir la police. Comment s’en sont-ils sortis ? Voilà ce que l’un d’eux, Bertrand Virieux, 44 ans, une victime du père Bernard dit à Marion Van Renterghem dans le Monde du 2 avril : « on enfouit, on passe à autre chose, on met des couches de poussière dessus, on s’arrange, on a sa famille, ses amis, son métier, on fait sa vie. Mais c’est là. Et il suffit d’un déclic pour que tout ressorte ». Le déclic collectif s’est produit trente ans après mais il n’aurait jamais eu lieu si la société n’avait pas changé. C’est parfois en cours d’analyse que le déclic se produit. Difficilement car ces adultes s’en sont sortis en adhérant au discours de leurs parents : comme Bertrand Durieux, ils disent qu’ils ne leur en veulent pas comme s’ils partageaient le déni de la gravité des faits. Et quand l’agression sexuelle n’a pas été trop grave ni trop fréquente, la duplicité du prédateur, prêtre, instituteur ou militaire, les marquent davantage que l’agression.

QU’EST-CE QUI A CHANGÉ POUR LES ENFANTS DE VILLEFONTAINE ?

Lorsqu’une petite fille de CP annonce en public qu’elle a vu le zizi du maître pendant les « ateliers du goût », les parents se rendent immédiatement au commissariat. L’enquête a révélé que 66 enfants sont concernés. Comment vont-ils s’en sortir ? D’après le témoignages des parents, et je l’ai aussi observé, c’est depuis la révélation des faits que les enfants manifestent leurs angoisses. Auparavant rien n’a inquiété leurs parents ce qui montre que les enfants n’ont pas beaucoup changé. Mais si l’un d’eux parle, on le croit, et si l’abuseur est extérieur à la famille, la plainte est immédiate, l’interrogatoire suit et la prise en charge psychologique est conseillée tandis que l’enquête se poursuit.

MAIS LE MAL EST FAIT ! À QUOI SERT LA PRISE EN CHARGE PSYCHOLOGIQUE ?

Très clairement, elle sert à ce que le refoulement puisse faire son œuvre pour que le traumatisme une fois mis en mots soit où il doit être : dans le passé. Une plaie bien cicatrisée peut rester visible mais ne pas se rouvrir. Quelques séances suffisent dans bien des cas quitte à revoir l’enfant plus tard si nécessaire. Les parents doivent eux aussi être aidés : bouleversés, culpabilisés, ils vont souvent plus mal que l’enfant. Pourtant, ce sont eux qui doivent l’aider à surmonter l’épreuve sans l’enfermer dans une position de victime à vie, sans plus le questionner, en lui faisant confiance, en n’imaginant pas d’emblée un avenir sombre, en n’interprétant pas tout changement d’humeur comme une conséquence du traumatisme sexuel. Cela peut vous paraître choquant mais il faut dire aux enfants que ce qu’ils ont subi est interdit du fait de leur âge et de celui de l’agresseur mais que plus tard, entre adultes consentants qui y trouvent du plaisir ce n’est plus interdit.

EST-CE-QUE VOUS N’AVEZ PAS TENDANCE À MINIMISER LES CONSÉQUENCES DE CES AGRESSIONS ?

Je ne cherche ni à minimiser, ni à dramatiser mais juste à dire que si des progrès restent à faire pour éviter ces agressions, des progrès ont été faits pour en prévenir les conséquences.