En incluant un amendement sur le divorce par consentement mutuel sans juge au projet de loi sur la justice du XXIème siècle, le garde des Sceaux, Jean-Jacques Urvoas a surpris.
Ce n’est pas particulièrement une idée de gauche puisque Nicolas Sarkozy puis Michèle Alliot-Marie l’avaient proposé sans succès.
VOUS PENSEZ QUE CETTE FOIS SERA LA BONNE ?
La commission des lois a approuvé l’amendement mais rien ne dit qu’il sera voté. Il prévoit que les époux divorçant par consentement mutuel pourront déposer leur convention signée par leurs avocats respectifs chez le notaire pour 50€ avec deux restrictions : si un enfant mineur, supposé informé de ses droits, demande son audition par le juge et si l’un des époux se trouve placé sous l’un des régimes de protection.
QUEL EST L’ARGUMENT DU GARDE DES SCEAUX ?
Officiellement le but serait de rendre le divorce moins long et moins coûteux mais il est clair qu’il s’agit de désengorger les tribunaux. On peut aussi y voir l’évolution de la perception du divorce. Pour mémoire, le divorce, y compris par consentement mutuel, avait été possible entre 1792 et 1816 puis totalement interdit. Seul le divorce pour faute a été rétabli en 1884. Le divorce était alors rare et considéré comme une anomalie sociale. Dans les années 1970, le nombre de divorces a commencé à croître tandis que l’union, comme la désunion, devenait un choix individuel plus qu’un engagement devant la société. L’instauration en 1975 du divorce par consentement mutuel avait pour but de pacifier la séparation. Il concerne actuellement 53% des divorces qui dans l’ensemble touchent un couple sur deux dans les grandes villes. En faisant un pas de plus, c’est la légitimité du juge à intervenir dans la vie privée des époux qui se trouve contestée : selon une enquête menée en 2013, 67% des sondés se déclaraient favorables au divorce sans juge. N’étant pas à une contradiction près et bien que les chiffres officiels n’existent pas, il me semble que les couples de concubins qui pourraient parfaitement se passer du juge quand ils se séparent y ont recours pour formaliser la garde de leurs enfants.
Bien que le garde des Sceaux ne le dise pas, on peut se demander s’il ne pense pas qu’en l’état, la pacification du divorce est un échec quand on sait la moitié des couples revient chez le juge dans les deux ans qui suivent un divorce par consentement mutuel. Devant l’impossibilité d’améliorer le système judiciaire, il le délègue aux avocats et aux sites de divorce par internet faisant le pari fort risqué que les couples sauront profiter de cette liberté assortie d’un temps de réflexion et d’un délai de rétractation pour s’arranger mieux qu’ils ne le font actuellement.
QU’EN DISENT LES PROFESSIONNELS ?
Hormis les notaires qui sont d’accord, les critiques abondent. Les magistrats dans l’ensemble préfèreraient avoir les moyens de continuer à assurer la validité du consentement, l’équilibre de la convention et la prise en compte de l’intérêt de l’enfant. Plus surprenant les avocats aussi émettent des critiques : le Conseil National des barreaux se dit à la fois attaché au rôle du juge tout en demandant une force exécutoire à l’acte d’avocat fixant le divorce car il ne peut rien faire si l’une des parties manque à ses obligations. Le barreau de Paris est franchement hostile à cette réforme arguant « qu’une société qui résout les états de crise sans juge est une société où tous les coups de force sont permis.(…) Seul l’imperium du juge avec la participation des avocats doit permettre de dénouer le lien solennel que l’officier d’état civil a établi en mairie. »
L’Union nationale des associations familiales a toujours été hostile à l’idée de se passer du juge avec les mêmes arguments que les magistrats. D’autres associations s’inquiètent pour les femmes victimes de violence qui seraient incapables de refuser un compromis en leur défaveur ou pour les enfants dont les intérêts peuvent diverger de ceux des parents.
DEVANT TANT D’HOSTILITÉ, CET AMENDEMENT A-T-IL UNE CHANCE D’ÊTRE VOTÉ ?
On peut déplorer cette évolution mais il est probable qu’un jour ou l’autre elle aura lieu. Pour le moment, on considère qu’elle avantage les tribunaux mais pas forcément le justiciable. D’autres amendements vont certainement tenter d’en atténuer la portée par exemple en proposant d’imposer la médiation ce qui ne va pas dans le sens de la simplification. Une proposition antérieure avait exclu du divorce sans juge les couples avec enfants ce qui ferait beaucoup de monde. Je suggère aux députés d’écouter leur voix ou plutôt celle de Patrick Bruel :
"Qui a le droit qui a le droit
d’faire ça
à un enfant qui croit vraiment c’que disent les grands.
On passe sa vie à dire merci,
merci à qui, merci à quoi
à faire la pluie et le beau temps
pour des enfants à qui l’on ment."
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