« Vers un monde altruiste », c’est le titre du film de Sylvie Gilman et Thierry de Lestrade pour lequel j’avais été conviée à débattre, samedi 15 novembre au festival du documentaire d’Arte à Paris. Découvrant au fil des heures que plusieurs de mes proches avaient été abattus la veille, j’étais plutôt mal disposée à me laisser convaincre que l’altruisme allait envahir le monde.
Il ne faut pas désespérer des êtres humains quand les neurosciences démontrent que l’empathie – qui ne se réduit pas à la capacité à se mettre à la place d’autrui et l’altruisme - cette propension désintéressée à se consacrer aux autres – ont des bases biologiques universelles. Dans les laboratoires américains et allemands où les réalisateurs ont enquêté, les chercheurs mettent expérimentalement en évidence que des enfants très jeunes, des grands singes mais aussi des souris ont spontanément des comportements d’entraide non associés à une récompense. On voit notamment des bébés à partir de l’âge de trois mois à qui on présente une petit spectacle de marionnettes mettant en scène un ours en peluche aidant un congénère en difficulté et un autre disons plus méchant, choisir de garder l’ours coopérant. Cette compréhension morale élémentaire, s’il s’agit de cela, mérite de réviser ce qu’on croit savoir sur le psychisme des tout-petits et même d’enfants de 18 mois : ceux-ci arrêtent de jouer pour aider un adulte à ramasser le crayon qu’il a laissé tomber sans en avoir la moindre gratification. Qui plus est, en poursuivant l’expérience avec deux groupes distincts, ceux qui ont reçu une gratification pour cet acte altruiste finissent par aider moins que les autres ! Les psychanalystes sont toujours contents quand les neurochercheurs apportent la preuve scientifique de ce qu’ils ont constaté à savoir qu’un enfant, aussi jeune soit-il est capable, avec les moyens dont il dispose, de prendre en charge celui dont il perçoit la détresse sans rien attendre en retour. Une autre expérience fait réfléchir sur ce qui serait un trait fondamental de la nature humaine : elle montre que très précocement, les enfants divisent le monde entre ceux qui sont « comme eux » et qu’ils préfèrent et ceux qui sont différents d’eux et qu’ils excluent.
MAIS JE CROYAIS QUE LES NEUROSCIENTIFIQUES REGARDAIENT CE QUI SE PASSAIT DIRECTEMENT DANS LE CERVEAU
Bien sûr, ce rêve est devenu réalité grâce à la résonnance magnétique. Pour vous le dire brièvement, dans le cerveau, souffrir en recevant des décharges électriques ou voir quelqu’un souffrir active les mêmes zones. Mais si celui qui souffre est le supporter d’une équipe de foot qui n’est pas la vôtre, le voir souffrir active la zone du plaisir. Preuve que si toute activité mentale entraîne des modifications structurelles dans le cerveau dont la plasticité est maintenant démontrée, elles ne sont pas à sens unique.
Le documentaire n’en traite que l’aspect positif car non contents de nous livrer leurs résultats de laboratoire, les chercheurs en font à l’instar de Mathieu Ricard, une cause et pas n’importe laquelle : en changeant le cerveau, on peut changer le monde disent-ils.
Oui, mais dans quel sens ? Grand prêtre de la culture de l’altruisme et de la bienveillance par la méditation, Mathieu Ricard a su convaincre des chercheurs de passer du laboratoire à l’application pragmatique consistant à élargir le cercle de ceux qui sont perçus « comme nous ». Dans les écoles primaires des quartiers difficiles de Baltimore, avec des professionnels de tous bords y compris dans les milieux économiques, la méditation a eu des résultats positifs sur l’attention, les conflits, la violence, l’attention aux autres. Dont acte.
**MAIS DANS NOTRE RÉALITÉ, EST-CE QUE CE N’EST PAS JUSTEMENT CETTE DIVISION ENTRE DEUX MONDES QUI SE RÉPAND ? **
Effectivement, j’aurais aimé entendre un autre son de cloche, par exemple celui du psychanalyste Serge Tisseron qui a publié en 2010 « *L’empathie au coeur du jeu social * » (Albin Michel) car il explore avec finesse comment l’être humain est doté de la faculté d’annihiler toute empathie. Sans attendre les neurosciences, dictateurs et endoctrineurs de tout poil savent depuis la nuit des temps que le cerveau est malléable et ils s’en servent avec le succès que l’on sait pour assurer leur désir d’emprise sur leurs semblables. Les forces qui nous éloignent de l’empathie sont puissantes et parfois contradictoires : ceux qui savent se représenter les contenus mentaux des autres, une des composantes de l’empathie, peuvent avoir des capacités manipulatoires exceptionnelles. Un bourreau peut torturer sans états d’âme et être bouleversé par les pleurs de son enfant. Un PDG peut être adulé par ses pairs et battre sa femme ou ses enfants. L’empathie est à géométrie variable. J’avoue être plus sensible à la complexité qu’aborde Serge Tisseron y compris dans les solutions qu’il propose qu’à la vision neuroscientifique de la bienveillance généralisée objectivable à l’electroencéphalogramme. Il n’empêche que tout est bon à prendre.
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