

Ce sont plusieurs millions d’échassiers qui ont été momifiés dans l’Antiquité en Égypte. Quand on a voulu savoir comment cela a été possible, on a mobilisé tout l’arsenal de la recherche moderne… et jeté un coup d’œil vers la Bretagne.
Quelque part sur le littoral du Morbihan. Un étrange oiseau blanc et noir est perché sur un arbre. Beaucoup trop grand pour être une pie. Pas de bec rouge et trop petit pour une cigogne. Bizarre !
Déplaçons-nous dans l’espace jusqu’en Égypte et dans le temps quelques siècles avant notre ère. Douze animaux sacrés symbolisent les heures du jour et de la nuit. L’un d’eux est un oiseau au corps blanc éclatant et à la queue noire. Il a un long cou et un bec épais et courbe, noirs tout comme sa tête.
Oiseau de contraste entre le blanc et le noir, il est associé à Thot, dieu de la sagesse et de l’écriture. Il est l’ibis sacré, Threskiornis aethiopicus. Sacré au point que l’ibis momifié était très demandé car il était utilisé comme une figure votive, sorte d’équivalent de nos cierges.
Demandé au point que des millions d’ibis ont été sacrifiés. Rien que dans la nécropole d’Hermopolis, ce sont quatre millions d’ibis qui ont été retrouvés, entassés dans des jarres. Mais d’où provenaient tous ces oiseaux ? D’élevages intensifs avant l’heure ou de prédations massives sur la faune sauvage ?
Explorons les implications des deux hypothèses. Si les ibis étaient élevés ont peut raisonnablement supposer que leur régime alimentaire était moins varié que celui de populations sauvages migratrices.
Que mangeaient-ils ?
L’arsenal analytique de la recherche moderne est alors bien utile et notamment les spectromètres qui sont des sortes de balances à peser les atomes. Ils permettent de doser les isotopes qui sont des formes à peine plus lourdes ou légères d’un même atome, comme le célèbre carbone 14 qui est un poil plus lourd que le carbone 12 ordinaire. Passons de minuscules prélèvements de nos ibis à la moulinette. Que nous disent les spectromètres de l’École normale supérieure de Lyon ? Les isotopes du carbone et de l’azote montrent une diversité importante. Cela démontre que les ibis consommaient une nourriture fort variée. Ils étaient des migrateurs sauvages car, s’ils avaient été élevés, ils auraient certainement consommé une nourriture plus homogène fournie par les Égyptiens.
Si les ibis sont d’origine sauvage, on peut alors s’interroger sur leur provenance. Les Égyptiens s’approvisionnaient-ils à grande distance dans d’autres régions d’Afrique ? Cette fois, ce sont les isotopes de l’oxygène et du strontium qui apportent la réponse. Ils indiquent que tous les ibis buvaient l’eau des environs du Nil. Ils étaient donc tous égyptiens.
Une telle chasse aux ibis sacrés sur un territoire relativement restreint a certainement eu un impact majeur sur les stocks. Pourtant, s’ils ont bien disparu d’Égypte, c’est seulement vers 1850. Un peu tardif pour y voir une conséquence des momies. Il faut dire que la traque a duré des siècles et que les ibis sacrés sont assez prolifiques.
Mais revenons en Bretagne. Des ibis sacrés, échappés d’un parc, ont proliféré jusqu’à atteindre en quelques années le nombre de 1700 couples reproducteurs. De quoi exercer une pression importante sur l’avifaune locale et de décider la mise en place de mesures de régulation. Plus de mystère ni en Bretagne, ni en Égypte.
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