

Si vous voulez prendre une leçon d’argot en même temps qu’un cours de botanique, rien de mieux que de se pencher sur le cas de l’oseille.
Le flouze, la thune, les biftons, les patates, le pognon, l’avoine, le blé, le fric, le grisbi, l’oseille… Toute une ribambelle d’expressions argotiques ou imagées pour désigner l’argent… Mais qu’est-ce que l’oseille vient faire là-dedans ?
Le blé, la patate, l’avoine, on peut comprendre. Ce sont des plantes véritablement vivrières, au sens où elles constituent la base de l’alimentation. Mais l’oseille n’est qu’une plante délicate qui ne remplit pas vraiment l’estomac.
Au Moyen Âge, elle entre dans la composition des verjus, ces jus acides qui accompagnent les viandes. Elle est alors surtout connue pour ses vertus médicinales et condimentaires. En effet, son petit goût acidulé égaie à merveille une omelette, un potage, ou la sauce qui accompagne une viande. Elle relève le goût, chatouille le palais plus qu’elle ne nourrit.
Du point de vue botanique, l’oseille commune, Rumex acetosa, est une herbacée de la famille des polygonacées (où l’on trouve aussi la rhubarbe). Elle pousse en Europe à l’état sauvage, mais elle est devenue une plante potagère en raison de ses feuilles comestibles. Rumex signifie « pointe de dard », en référence à la forme de la feuille semblable à la pointe d’une lance. Le choix de ce nom tombe à pic, si j’ose dire, car l’oseille est riche en fer.
Le nom vernaculaire « oseille » vient du latin « acidula », qui signifie aigrelette. Au cours du Moyen Âge, acidula donnera oiseles, osile, puis ozeille avec un « z ». L’oseille est une plante qui peut passer pour redoutable. Certes pas pour nous, car cela n’a rien à voir avec sa forme de lance et sa richesse en fer, mais pour ses congénères. En effet, elle produit dans le sol plusieurs substances toxiques aux noms impressionnants : glycosides, tanins, alcaloïde et autres terpénoïdes qui inhibent la germination ou la croissance d’autres plantes, voire qui peut les tuer.
La gangrène de l'âme
Mais alors, finalement, quel est le rapport avec l’argent ? On en reste aux conjectures. Dans Le Moyen de parvenir, publié en 1616, François Béroalde de Verville écrivait : « Ayant eu l’argent qu’elle prétendait, c’était autant de vinette cueillie. » La vinette est l’autre nom populaire de l’oseille !
On peut émettre l’hypothèse qu’accompagnant les viandes, l’oseille ait pu apparaître comme symbole de prospérité. Quoi qu’il en soit, c’est dans les troquets parisiens des années 1870 que le mot oseille commence à être utilisé en argot avec le sens d’argent. On en trouve la trace dans la littérature, comme dans Mort à crédit de Céline qui écrit : « C'est moi qui fais rentrer l'oseille... Ma mère […] elle gagne pas beaucoup. »
Et pour terminer par une maxime à méditer, je convoque l’irremplaçable Michel Audiard qui fait dire à Maurice Biraud : « Plus t’as de pognon, moins t’as de principes. L’oseille c’est la gangrène de l’âme. »
Citation tirée du film de George Lautner, « Les Pissenlits par la racine » qui n’est pas resté dans les annales mais qui aurait dû, enfin de mon point de vue. En effet, une scène a été tournée dans la galerie de Zoologie, ancêtre de la Grande Galerie de l’Évolution du Muséum.
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