Pourquoi parler du climat sans dramatiser est plus efficace

Vue de Patagonie, au Chili, en 2007.
Vue de Patagonie, au Chili, en 2007. ©AFP - Martin Bernetti
Vue de Patagonie, au Chili, en 2007. ©AFP - Martin Bernetti
Vue de Patagonie, au Chili, en 2007. ©AFP - Martin Bernetti
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Le terme "climat" tout court s'est progressivement substitué aux expressions "changement climatique" ou "dérèglement climatique". Les chercheurs en psychologie sociale montrent que c'est plus efficace lorsqu'il s'agit de sensibiliser le grand public.

Qui sait ce que signifie le "COP" de la COP21, qui s'était tenue à Paris l'an dernier, ou, dans l'actualité, la COP22, qui s'est achevée à Marrakech ce 18 novembre 2016 ? Derrière l'acronyme, se cache "Conference of parties", ou le terme plutôt technocratique de "Conférence des parties". Mais les médias ont pris l'habitude de parler de ces grands raouts mondiaux comme de "Conférences climat". Car le climat fédère mieux. Au point que les discours à destination du grand public utilisent désormais le mot "climat" tout court, là où la communauté scientifique continue de parler de "changement climatique".
C'est le fruit d'une évolution qui remonte à l'immédiat après-guerre. A ce moment-là se fraye un chemin l'expression "réchauffement climatique". En fouillant dans les archives radiophoniques, on voit que le terme est utilisé pour la toute première fois en 1947, dans la bouche de Paul-Emile Victor qui relate à Georges De Caunes sont expédition au Groënland. Le journaliste aimerait savoir si l'idée d'habiter un jour ces terres polaires est une projection loufoque. La réponse du scientifique permet de mesure combien le monde de la recherche a déjà pris acte du réchauffement :

Paul-Emile Victor parle de "réchauffement climatique" au micro de Georges De Caunes, 1947.

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Les résistances au réchauffement climatique sont anciennes. Les racines du climatoscepticisme plongent dans cette époque où l'opinion publique est ballotée entre une familiarité croissante du terme qui se propage peu à peu... et une ironie très répandue. Le discours médiatique génère sa part de schizophrénie : d'un côté, le mot "réchauffement climatique" s'impose peu à peu, jusqu'à devenir relativement répandu dans les années 80 ; de l'autre, on relativise volontiers la gravité du phénomène. Ainsi, ce journaliste de l'ORTF qui rebondit sur les liens baroques esquissés cette année-là par la presse entre tremblement de terre et réchauffement climatique... pour mieux désarmer l'expression dans sa globalité. C'est l'époque où affleurent les premières tentatives d'euphémisation du "soit-disant réchauffement climatique" et autres pincettes révisionnistes :

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Le terme "réchauffement climatique" finira par être abandonné, comme le retrace la thèse de Marion Mauger - Prat soutenue en 2013 sur les représentations climatiques dans la presse. On peut y voir deux phénomènes plutôt contradictoires, en réalité.

D'une part, la communauté scientifique parviendra par installer l'idée, étayée, que les bouleversements climatiques avérés vont bien au-delà du "réchauffement", et impliquent en réalité des épisodes extrêmes qui s'accélèrent... et comportent des périodes de refroidissement à la faveur du bouleversement du gulf stream.

D'autre part, parce que les mêmes scientifiques ont pu remarquer combien le terme, peu rigoureux, faisait au fond le jeu des climatosceptiques qui, avec une point de cynisme, y voyaient un moindre mal, pariant sur le fait que l'idée d'un petit coup de chaud ne serait pas pour déplaire à Monsieur-tout-le-monde au creux de l'hiver.

Catastrophisme contre-productif

On passe ainsi dans le langage courant à l'expression "dérèglement climatique" dans les années 90, qui fait long feu pour être remplacée, au début des années 2000, par "changement climatique". Autrement dit : la traduction rigoureuse du terme "climate change", terme officiellement en vigueur dans la communauté scientifique. La revue qui fait référence en la matière étant par exemple intitulée Nature climate change. Derrière ce changement, un souci de rigueur scientifique, mais aussi une nuance cognitive intéressante : des chercheurs, en particulier certaines équipes travaillant dans le champ de la psychologie sociale, on identifié que les connotations dramatiques à l'oeuvre derrière l'évocation du "réchauffement climatique" et sa cohorte de représentations funestes sur la montée des eaux sont en réalité... contre-productives en termes de sensibilisation du public.

En effet, la psychologie sociale permet d'affirmer que les "appels à la peur" à l'oeuvre dans le langage du "réchauffement climatique", qui fleure parfois bon une certaine punition divine, a plutôt pour effet de démobiliser le grand public.

A l'inverse, une étude publiée en 2015 par Nature Climate Change, et à laquelle a participé Christophe Demarque, maître de conférence en psychologie sociale à l'université Aix-Marseille, montre que ce qui sera le plus efficace pour sensibiliser, sera non pas un discours alarmiste, mais la valorisation de ce que peut en tirer tout un chacun - les "co-bénéfices" en langage des sciences sociales.

C'est d'autant plus crucial que les campagnes sur le changement climatique étaient en parties vidées de leur efficacité du fait du grand écart persistant entre d'un côté, l'ampleur de la catastrophe écologique, indéniable et massive, et de l'autre, l'image dérisoire des petits gestes, ces "éco-gestes" qu'on pourrait demander au simple citoyen. Là où la majeure partie du "réchauffement" et du "dérèglement" est en réalité imputable à des phénomènes qui dépassent largement son échelle : industrie à grande échelle, choix politiques des Etats, etc. On est loin de l'ampoule à éteindre ou de l'eau qui coule pendant que le quidam se brosse les dents (même si couper l'eau et éteindre une lumière superflue, c'est mieux).

Grand écart

Christophe Demarque souligne aussi la difficulté à laquelle sont confrontés les scientifiques qui travaillent sur le changement climatique, y compris lorsque la vulgate évite l'écueil du terme "réchauffement climatique" :

"Leurs modèles renvoient toujours à des probabilités et ils utilisent donc un langage qui reflète une part d'incertitude, même si elle est de plus en plus faible au fur et à mesure que les modèles s'affinent, là où les politiques se permettent plus volontiers d'énoncer des certitudes."

Aujourd'hui, politiques et commentateurs semblent préférer le terme "climat" tout court. De leur côté, les mêmes chercheurs en psychologie sociale identifient une tendance nouvelle dans les campagnes pour alerter le public :

"Un discours moins culpabilisant, qui ne centre plus l'action sur ces petits éco-gestes dont on a convenu de l'impasse. Au bénéfice d'une approche de plus en plus participative, qui s'oriente vers l'anticipation, l'adaptation, et donc les co-bénéficies."

A redécouvrir : l'histoire du climat, avec Emmanuel Le Roy Ladurie, dans "La Fabrique de l'histoire" sur France Culture le 16 novembre 2009 :

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