L'attentat à Londres a relancé le débat sur le chiffrement des communications. Cette fois à travers l'application Whatsapp. Un récit qui ramène la globalité d'une technologie à un usage spécifique. Au risque de faire perdre de vue la nécessaire protection des données des citoyens.
"De quel côté es-tu Whatsapp?" Après l'attentat de Londres, l'application de messagerie a été interpellée en Une de quelques journaux anglais. Selon l'enquête, l'homme qui a commis une attaque devant le Parlement britannique avait, avant de commettre son attentat, communiqué sur la messagerie. A nouveau accusée d'être une cachette pour les terroristes. C'est presque devenu une habitude. Comme l'avait fait David Cameron après les attentats en France en 2015, puis Theresa May, la Ministre de l'Intérieur Amber Rudd a jugé inacceptable le fonctionnement de l'application. Quelques jours après, la Commissaire européenne en charge de la justice, Vera Jourová, a déclaré qu'en juin seraient proposées « trois ou quatre options » contre le chiffrement des messageries sécurisées. Sans plus de précision pour le moment.
C'est bien le chiffrement qui concentre les discours.
Portes dérobées
De quoi s'agit -il? WhatsApp protège les communications de ses utilisateurs par ce qu'on appelle un chiffrement « de bout en bout ». C'est-à-dire que le message est chiffré sur le téléphone de l’expéditeur, et déchiffré sur celui du récepteur. Son contenu n'est accessible et lisible que par eux. Ni Whatsapp ni une personne qui intercepterait la communication n'y ont accès. C'est une sorte d'équivalent numérique du secret des correspondances. Une protection proposée par la plupart des géants du net, en particulier depuis les révélations d'Edward Snowden. Quelques procureurs à travers le monde les accusent régulièrement de mettre en péril la lutte contre les crime , en empêchant de fait, d'accéder à des messages Ils réclament qu'on leur ménage d'un accès caché aux conversations numériques. C'est ce qu'on appelle les portes dérobées (les backdoors) Dit comme cela, cela peut paraître du bon sens, c'est oublier ce que disent les spécialistes de manière unanime (comme la Cnil ou l' Anssi l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information) ce n'est techniquement pas possible. Pour ce type de chiffrement, une communication est sécurisée complètement ou ne l'est pas. Une ouverture créée pour les forces de l'ordre sera forcément utilisable par d'autres. "Une clé laissée sous le paillasson, les méchants, la trouveront également", résumait Tim Cook le PDG d'Apple il y a quelques mois. Autrement dit, cela rendrait tous les utilisateurs vulnérables.
Chiffrement bancaire
Surtout, n'oublions pas que nous utilisons le chiffrement au quotidien. Et pas seulement dans nos communications. Concrètement, c'est ce qui permet quand vous faites un virement bancaire ou un achat en ligne que cette transaction soit protégée. D'assurer la confidentialité de vos résultats d'analyses ou de votre dossier médical. De protéger une entreprise de l'espionnage économique. Ou encore de permettre le travail d'investigation de journalistes, comme les révélations des _Panama paper_s. Pourtant ce n'est pratiquement qu'à l'occasion d'attentats que l'on parle du chiffrement.
En France, la loi a confié à la Cnil la mission de défendre les outils de protection de la vie privée. Y compris le chiffrement. (Elle donne d'ailleurs des conseils en ligne pour apprendre à protéger ses documents). Tous les candidats à la présidentielle disent que l'affaiblir serait une erreur. Pour les entreprises, c'est une nécessité économique ; pour les citoyens, une liberté fondamentale. Malgré ce consensus, à chaque attentat, l'accusation est récurrente. Il ne s'agit pas de nier le fait que des terroristes communiquent sur ces applications. C'est vrai. Mais ils ne sont pas les seuls, ni la majorité : en 2017, Whatsapp, c'est plus d'un milliard d'utilisateurs dans le monde. Et 60 milliards de messages échangés chaque jour. Ce sont tous ces utilisateurs qui seraient concernés par des failles dans la protection de leur échange.
Récit politique
Présenter le chiffrement avant tout sous l'angle de la menace terroriste est avant tout un récit politique et médiatique. Cette manière de concentrer l'attention sur une technique a l'avantage politique d'être une histoire facile à raconter. Et c'est aussi une manière de ramener une technologie dans son ensemble (ici le chiffrement) à des usagers spécifiques ou des groupes d'utilisateurs en particulier. Ce n'est pas nouveau rappelle la chercheuse au CNRS Francesca Musiani. C'est déjà ce qui était à l'oeuvre dans les tentatives de réguler une autre technologie : le pair à pair. Elle avait été globalement mise en cause en raison d'un usage particulier, le piratage. Or le recul nous montre, rappelle la chercheuse, qu'agir de la sorte est à la fois inefficace et assez dangereux pour la sécurité et la stabilité d'Internet dans son ensemble.
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