"Mégafichier" : les questions que pose encore le fichier TES

Le fichier TES est déployé à travers la France d'ici fin mars 2017
Le fichier TES est déployé à travers la France d'ici fin mars 2017 ©AFP - Jean-Pierre Muller
Le fichier TES est déployé à travers la France d'ici fin mars 2017 ©AFP - Jean-Pierre Muller
Le fichier TES est déployé à travers la France d'ici fin mars 2017 ©AFP - Jean-Pierre Muller
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En dépit des questions soulevées à son annonce, le fichier TES est généralisé sans débat sur le territoire d'ici fin mars.

"Mega Fichier "ou "fichier monstre," c’est le petit nom rapidement donné au grand fichier TES, pour Titres électroniques sécurisés. Le double objectif avancé par le gouvernement, c’est la lutte contre la fraude et la simplicité de gestion pour les papiers d’identités. Ce fichier ouvre aux cartes d’identité ce qui existait déjà pour les passeports. En pratique, cela veut dire rassembler dans un même fichier centralisé, toutes les données nécessaires pour établir ses papiers : nom, prénom, couleur des yeux, filiation, photo du visage, et surtout les données biométriques. Cela pour tous les Français à partir de 12 ans. Souvenez-vous , le décret pris en novembre, en plein week-end de la Toussaint, avait suscité une vive opposition dans la société civile. Trois mois plus tard, le gouvernement n’a pas fait de publicité pour l'arrêté qui précise sa mise en œuvre. Un texte publié le 9 février dernier et repéré par le site d’information spécialisé Nextinpact. Expérimenté dans les Yvelines et en Bretagne, le fichier a été déployé cette semaine à Paris, et doit être étendu à toute la France d’ici le 28 mars. Pourtant, non seulement aucune des questions soulevées alors n'ont été résolues, ni débattues. Même plus un certain nombre de rapports officiels très critiques se sont empilés sur la table.

Qu'est ce ce qui reste reproché à ce fichier ?
Ce n'est pas l’objectif qui fait problème. Mais le principe et les modalités du fichier. Première inquiétude, le côté massif des données collectées. Et disproportionné par rapport aux buts. Des associations de défense des libertés numérique ont d’ailleurs déposé un recours au Conseil d’Etat. Quel usage pourrait être fait de toutes ces données ? L'argument est récurrent, et ravive chez certains la crainte d'un Etat tout puissant dans un contexte de montée de populismes.

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Certes les préfectures avaient déjà des fichiers papier avec ces informations, mais là, toutes ces données se croisent dans un même fichier numérique. Centralisé. Et c'est l'autre point qui fait l'unanimité contre lui parmi les opposants La centralisation des données, c'est aussi de ça qu’il s’agit quand on parle de Yahoo qui se fait pirater, ou de Donald Trump qui décide d'effacer des données scientifiques.

Cela pose des problèmes de sécurité et de vulnérabilité. Alerte a été donnée, par les services de l'Etat chargés d'un rapport d'audit sur le fichier, l'Anssi (Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information) et la Dinsic (Direction interministérielle du numérique et du système d’information et de communication de l’Etat ). Par des scientifiques de l 'Ecole normale supérieure de Cachan ou de l' Université Paris 6. Ou encore par la CNIL. Cette dernière souligne qu'il existe d'autres possibilités, comme le fait que des empreintes digitales soient conservées non pas dans une base centralisée, mais sur une puce dans les cartes d’identité elles-mêmes. Piste qui n'a pas été discutée. Un e inconséquence blâmable : voilà ce que dit le Conseil national du numérique de cette généralisation du dispositif sans débat. Il appelle les candidats à la présidentielle à se prononcer sur ce fichier.

Si l'on doit s'intéresser à ce fichier, c'est aussi pour des raisons démocratiques. "Si l'on n'a rien à se reprocher, je ne vois pas où est le problème. Ceux qui refuseraient qu' on prenne leurs empreintes me paraîtraient suspects". C'est une certaine Mireille qui écrit ça, dans les commentaires d'un article du journal Le Monde sur le sujet. "Je n'ai rien à cacher", l'argument, présenté au nom du bon sens depuis une dizaine d'années, est toujours vivace. Cela illustre le peu de compréhension par les citoyens de ce qu'il est possible de faire avec nos données, renforcée par l'illusion de la dématérialisation.

Surtout, sans préjuger de la pertinence du choix — un fichier de ce type ou non— l'absence de discussion est en elle-même le signe le plus inquiétant. Car ne pas mener de débat sur les questions éthiques, juridiques que pose ce fichier est une décision politique, qui consiste à faire presque comme s'il ne s'agissait que d'un choix d'outil. Or ce qui évolue ici avec la technologie, c'est bien le cadre politique dans lequel nous vivons.