Travailleurs hyperconnectés : quelle responsabilité des entreprises ?

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. ©Getty - Atomic imagerie
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Qu'est-ce que le numérique fait aux conditions de travail.

Si vous faites une recherche sur la "détox digitale" vous trouverez désormais par dizaines des séjours bucoliques à prix d'or où il vous faudra laisser votre téléphone à l'entrée, des locations dont le prix exorbitant est justifié par l'absence de connexion internet. Ou encore des annonces de stages où les dirigeants peuvent envoyer leurs cadres stressés pour décompresser un peu. Il y a là un vrai filon, exploité par beaucoup. Que nous raconte l'émergence de ce nouveau marché ? D'abord, il est d'une certaine manière le symptôme de difficultés au travail. Le constat est connu : avec le numérique on assiste globalement à une intensification du travail (plus de tâches à accomplir dans le même temps), une densification (plus d'informations à intégrer et à gérer), une fragmentation des tâches dans l'espace et dans le temps, une perméabilité des temps. 70 % des cadres vérifient leur messagerie toutes les 5 minutes, et près de 80 % d'entre eux se connectent à leur mail professionnel avant de dormir.

Voit-on pour autant apparaître de nouvelles pathologies liées au numérique? Pas vraiment. Tout cela s'inscrit dans une histoire . Par exemple la question des cadences est vieille comme le travail. Les nouveaux outils n'ont pas fait apparaître des pathologies que l'on n'avait pas identifiées. En revanche, ce sont des intermédiaires qui changent nos rapports au travail. Les difficultés s'en trouvent transformées et intensifiées. Pour le dire autrement, les technologies médiatisent le travail : elles sont devenues un espace où le travail s'éprouve. C'est ce qu'analyse la chercheuse Cindy Felio, auteur d’une thèse sur les risques psychosociaux des nouvelles technologies et co-auteur d'un ouvrage sur "la laisse électronique" des cadres. Elle y souligne l'intensification à la fois des avantages (c'est-à- dire plus d'autonomie, de souplesse, de gains de temps) et des risques.

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Individualisation des responsabilités

Dans ce contexte, l'autre analyse que l'on peut faire de tous ces stages de détox digitale pour travailleurs stressés c'est qu'ils nourrissent l'image -connotée négativement- du cadre dépassé , ne sachant pas gérer ses mails, ou les limites avec sa vie privée. Or c'est une manière de faire comme si ce qui était en jeu n'était pas les facteurs de risque mais la capacité des individus à s'organiser. Autrement dit, faire porter la responsabilité sur chacun, sans regarder les organisations de travail. Une manière qu'ont les entreprises de le faire, c'est de se concentrer sur les outils. Beaucoup par exemple, font appel à des consultants parce qu'elles ont, disent- elles, un "problème de mails". Leur objectif est alors d'aider leurs équipes à gérer leur boîte mails. En somme, ils ramènent cela à un problème de manipulation technique. Or ce que rappelle Cindy Felio, c'est que derrière le mésusage du mail, il y a toujours des problèmes soit d 'exigences managériales, de mauvaise organisation du temps de travail, de relations entre les collaborateurs ou encore de surcharge du travail.

Alors qu'avait lieu hier la journée mondiale de la sécurité et la santé au travail, force est de constater que les entreprises peinent à se préoccuper du sujet. Les troubles musculo squelettiques (mal de dos, de poignets, problèmes de postures liés à l'ordinateur..) sont désormais mieux identifiés et pris en charge. Mais si la plupart des activités sont désormais réalisées avec des outils numériques, elles ne sont pourtant sont pas ou peu évaluées dans le cadre des risques psychosociaux (c'est-à dire, pour dire vite, les risques liés aux relations humaines au travail). Alors certes depuis janvier les entreprises privées sont tenues par la loi travail de prendre en charge cette question avec le droit à la déconnexion. Mais c'est sans obligation. Ce que l'on voit apparaître, ce sont surtout des chartes de grands principes. Ou des expériences comme signer son courrier envoyé le week-end d'un "ce mail n'attend pas de réponse immédiate" ou interdire les envois de mails hors des horaires de travail.

Mais centrer le débat sur la déconnexion ou l'hyperconnexion, c'est encore une manière de se concentrer sur les outils. Or il n'y a pas de déterminisme technique à ces pathologies, mais une urgence pour les organisations à penser les enjeux de ces transformations collectives et individuelles du travail. Elles restent encore fréquemment un angle mort.