L'assourdissant silence des chanteurs

Le Chanteur de Bon Iver Justin Vernon en 2014 à New York
Le Chanteur de Bon Iver Justin Vernon en 2014 à New York ©AFP - D DIPASUPIL / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP
Le Chanteur de Bon Iver Justin Vernon en 2014 à New York ©AFP - D DIPASUPIL / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP
Le Chanteur de Bon Iver Justin Vernon en 2014 à New York ©AFP - D DIPASUPIL / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP
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De plus en plus d'artistes de la scène musicale décide de ne pas accorder d'interviews aux médias traditionnels. Quelle est la stratégie derrière ce silence?

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Il y a quelques temps, on avait parlé ici du dernier album de Bon Iver, et les deux critiques présents, Sophie Rosemont et vous Christophe Conte, avaient montré un peu d’agacement devant la stratégie de communication mise en place par l’artiste, à savoir: pas de communication. Il y a quelques jours a paru dans les Inrockuptibles sous la plume de Romain Lejeune un article intitulé “Du silence pour faire du bruit”, sur ce phénomène “en vogue” parmi les artistes de la scène musicale, celui qui consiste à ne pas pas parler aux journalistes. L’article cite donc Bon Iver, mais aussi Radiohead, Drake - soulignant que la stratégie est avant tout américaine - mais aussi en France le duo de rappeurs PNL dont le silence est littéralement assourdissant, on en parle d’autant plus qu’ils n’ont jamais donné d’interviews à aucun média français alors que leur dernier album connaît des sommets de popularité. L'article s’attache à identifier les raisons de cette stratégie. D’abord ne pas donner d’interview c’est ne pas livrer d’informations sur des projets, de potentielles sorties, et donc ménager des effets de surprise qui sont souvent de bien meilleurs coups commerciaux qu’une énième apparition dans les médias. En France on a vu ça avec Booba, avec le groupe Fauve au début de sa carrière, ou encore le groupe 1995. Deuxième raison, pour un certain nombre d’artistes et notamment de la scène hip-hop qui s’adressent surtout à un jeune public, il existe des lieux d’expression plus fluides et surtout plus contrôlables par eux-mêmes que les journaux ou les plateaux radio et télé, ce sont les réseaux sociaux. Drake par exemple n’est pas vraiment un artiste “silencieux”, dans la mesure où chacune de ses publications, notamment sur Twitter, correspond à un pic dans la vente de ses albums. Ces stratégies sont donc une remise en cause fondamentale d’un pacte qui liait jusque là les médias et les artistes musiciens, un pacte qui reposait sur un besoin réciproque: l’information d’une part, la promotion de l’autre. Romain Lejeune évoque donc surtout des raisons commerciales, et elles sont probablement les plus importantes, je me demande pourtant s’il n’y a pas aussi dans cette stratégie du silence une posture éthique. L’article souligne à juste titre que cette attitude est propre, du moins au départ à certains artistes de hip hop ou du rock, est-ce qu’il est tout à fait naïf d’imaginer que refuser l’interview promotionnelle pour ces artistes n’est pas aussi une forme de rébellion par rapport au système… Alors je me suis demandée au terme de la lecture de cet article des Inrockuptibles quelles stratégies le journalisme met en place, lui, pour s’adapter à cette évolution: qu’est-ce que ça change de ne plus pouvoir s’adresser aux artistes, leur laisser la parole? Dans le fond ça modifie franchement la manière d’écrire sur la musique, est-ce que ça n’est pas une invite à privilégier l'exercice critique sur l’exercice de l’interview…