Le roman qui apprend la vie

La couverture du livre de Raphaëlle Giordano, "Ta deuxième vie commence quand tu comprends que tu n'en as qu'une", Eyrolles, 2015
La couverture du livre de Raphaëlle Giordano, "Ta deuxième vie commence quand tu comprends que tu n'en as qu'une", Eyrolles, 2015
La couverture du livre de Raphaëlle Giordano, "Ta deuxième vie commence quand tu comprends que tu n'en as qu'une", Eyrolles, 2015
La couverture du livre de Raphaëlle Giordano, "Ta deuxième vie commence quand tu comprends que tu n'en as qu'une", Eyrolles, 2015
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Un des gros succès de librairie ces derniers mois s'appelle "ta vie commence quand tu apprends que tu n'en as qu'une", une forme assez inédite mi-roman, mi-guide de développement personnel.

Avec

Merci l’Obs de m’avoir fait découvrir le roman qui cartonne en ce moment, et qui se classe cette semaine en deuxième position des romans les plus vendus en France, à savoir Ta deuxième vie commence quand tu comprends que tu n’en as qu’une, oui c’est le titre tout ça, de Raphaëlle Giordano, cette semaine il n’est que 2ème, mais il y a encore un petit mois, il était premier haut la main, devant Pennac ou Ferrante, et l’Obs tentait de décrypter le succès de ce roman en posant la question: “de l’art ou du coaching”? C’est une question qu’on peut se poser en effet. J’ai commandé le livre, publié par Eyrolles, une maison qui n’édite traditionnellement pas de fiction, mais plutôt des manuels de toutes sortes, et sans surprise il m'est parvenu accompagné d’un petit livret annonçant les publications à venir de la maison dans le domaine “développement personnel, psychologie, santé, bien-être, parenting”. Sur la couverture en revanche, et à l'intérieur sur la page de garde c’est bien écrit “roman”. Qu’est-ce que cet objet? Quand on le retourne, on lit sur la 4e de couverture: "Raphaëlle Giordano, coach en créativité et développement personnel, artiste peintre et auteure, signe ici son premier roman". C’est l’histoire de Camille, jeune mère de famille, elle a un job qui l’ennuie et une vie beaucoup trop remplie, un jour elle a un accident de voiture, se réfugie pour téléphoner chez un homme qui l’accueille, devant qui elle craque et raconte tous ses petits problèmes. Il se trouve que l’homme est un grand sage et qu’il lui détecte une “routinite aigüe”. Quand on lit les premiers chapitres, la forme est bien celle de la fiction, les marqueurs temporels sont là: imparfait et passé simple, récit à la première personne, des descriptions de lieux et de personnages, en bref un roman classique, en l’occurrence une sorte de récit d’initiation au mieux être. Sauf que quand on feuillette le roman on remarque des saillies en gras, qui sont des citations exemple “nous avons autant besoin de raisons de vivre que de quoi vivre” (L’abbé Pierre), ou “le changement est une porte qui ne s’ouvre que de l’intérieur” (Tom Peters). Le tour de force du livre c’est que toutes ces maximes, qui finissent par forger une sorte de vade mecum assez basique du développement personnel sont totalement enchâssés dans les dialogues et dans le récit. D’où la forme globalement romanesque. Une manière en fait de trouver un cadre pour mettre en scène de façon assez rudimentaire l’émergence d’une théorie que Raphaëlle Giordano a forgée, la “routinologie”. Bref, le livre joue sur tous les tableaux, le roman contemporain, mettant en scène une femme active, urbaine, dans un quotidien auquel on peut aisément s’identifier, et le petit guide de développement personnel, aux maximes pas dérangeantes, qui puisent aussi bien du côté de la psychologie de comptoir que d’Aristote ou du magazine féminin. Le public est d'ailleurs essentiellement féminin - on sait par ailleurs que les femmes lisent plus que les hommes, et a fortiori des romans, et des guides de développement personnel, et surtout il est légion. Lorsqu’il paraît en août 2015, Ta deuxième vie commence quand tu comprends que tu n’en as qu’une, c’est timidement, il est tiré à mille exemplaires. Très vite, et sans l’aide de la critique qui est globalement négative, le livre trouve son public, il est réédité dix fois, et va atteindre dans les semaines qui viennent les 500 000 exemplaires vendus, soit les chiffres de vente d’un Goncourt dans une bonne année. Qu’est-ce que ce succès dit de ce qu’on attend aujourd’hui de la littérature?

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