

En cette rentrée littéraire de nombreux journaux se font l'écho de "saison africaine", mais est-ce qu'une telle catégorie fait sens?
- Elisabeth Franck-Dumas journaliste à Libération
- Philippe Chevilley Chef du service culture des Echos
- Alain Mabanckou écrivain, professeur de littérature à UCLA
La réflexion qui va suivre et que je vais vous faire essayer de mener vient de deux lectures, un article du Monde intitulée “ rentrée littéraire: une saison africaine”, et puis un entretien croisé entre Léonora Miano et Alain Mabanckou dans le numéro des Inrockuptibles la semaine dernière. les deux auteurs viennent de publier des ouvrages très différents, qui un roman chez Grasset intitulé Crépuscule du tourment, qui un essai chez Grasset également, Le Monde est mon langage. Ils sont tous les deux présentés comme des écrivains “afropéanistes”, d’où peut-être la rencontre: alors qu’est-ce que ça veut dire afropéaniste? En cherchant je comprends que le mot est la déformation d’un autre mot forgé récemment, “ afropéen”, et mis en circulation en France il y a quelques années par Léonora Miano justement, pour décrire je cite “ ces personnes d’ascendance subsaharienne ou caribéenne et de culture européenne : des individus qui mangent certes des plantains frits mais dont les particularismes ne sont pas tellement différents de ceux qu’on peut trouver dans les régions de France”. Je trouve assez révélateur cette petite distorsion syntaxique opérée par le journaliste, car dans afropéaniste il y a le suffixe “-iste”, ce qui indique une forme de revendication. Or il s’agit bien de ça dans l’entretien: faire se converger deux paroles qui sont les paroles de deux écrivains africains de langue française.
Je reviens à l’article du Monde qui lui dresse simplement une liste de tous les ouvrages écrits par des auteurs africains ou d’origine africaine: on y trouve des auteurs aussi différents que le jeune Gaël Faye, un auteur de langue arabe Abdelaziz Baraka Sakin, mais aussi un Martiniquais Patrick Chamoiseau. Outre le fait que cette liste n’a aucune cohérence géographique, est-ce que cette liste a une cohérence littéraire? Est-ce qu’il existe une littérature "afropéenne", avec des traits de style spécifiques?
C’est une petite question, elle est circonstanciée, mais elle creuse d’immenses perplexités, du moins chez moi, à la fois sur des questions de communauté et d’appartenance, mais aussi des questions littéraires. Je ne crois pas que le Monde aurait dressé une liste de romans écrits par des femmes. Je ne dis pas que c’est mal. Je dis simplement que ça n’a pas grand sens. Et de fait, quand on lit l’entretien croisé, on a l’impression qu’Alain Mabanckou et Léonora Miano ne parlent pas de la même chose.
Dans le chapeau de l’entretien d’ailleurs le journaliste précise qu’en 2009, Léonora Miano avait décliné plusieurs demandes d’interviews, agacée qu’on ne lui pose que des questions sur l’identité nationale, et rien sur son roman. Je me demande dans quelle mesure la faire dialoguer avec Alain Mabanckou n’est pas - dans une certaine mesure - la cantonner au même rôle.
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