qui a peur du scénographe?

Dom Juan mis en scène par Patrice Chéreau, scénographié par Richard Peduzzi, 1969
Dom Juan mis en scène par Patrice Chéreau, scénographié par Richard Peduzzi, 1969
Dom Juan mis en scène par Patrice Chéreau, scénographié par Richard Peduzzi, 1969
Dom Juan mis en scène par Patrice Chéreau, scénographié par Richard Peduzzi, 1969
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Dans la tradition française, le scénographe est moins valorisé que dans d'autres cultures théâtrales; comment l'expliquer?

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On parlait la semaine dernière du dernier spectacle de Julie Duclos Mayday, qui se joue en ce moment au théâtre de la Colline, vous débattiez notamment de la pertinence de la scénographie, signée Hélène Jourdan. Elle a en effet divisé la critique, Jean-Pierre Thibaudat par exemple signait dans Médiapart le 25 février dernier un article qui commençait ainsi : “Il arrive qu’une scénographie (plus spatiale qu’un décor) écrase un spectacle comme un camion écrase un chien.” Je m’interroge à la fois sur le sens de la formulation entre parenthèse “plus spatiale qu’un décor”, que sur ce que dit peut-être plus généralement le propos de Thibaudat sur le cas qu’on fait en France de cette discipline un peu bâtarde qu’est la scénographie.

Pas facile de définir simplement la scénographie, Wikipédia indique que c'est "l'art de l'organisation de l'espace scénique grâce à la coordination des moyens techniques et artistiques". Ce n’est d’ailleurs pas une discipline propre au théâtre, on parle aussi de scénographie pour une exposition. Souvent la limite est assez ténue entre ce qui est du domaine de la mise en scène, du décor, et de la scénographie. Lorsque sur la bible d’un spectacle je lis trois noms différents en face de ces trois catégories comme c’est le cas par exemple des spectacles d’Ivo Von Hove, j’avoue que je suis parfois assez perplexe quant aux rôles de chacun dans l’élaboration du spectacle: que fait le metteur en scène quand il ne se mêle pas de la mise en espace? Est-ce qu’il ne s’occupe que des acteurs? Est-ce qu’il est en quelque sorte le coordinateur suprême? A l’inverse, quand c’est la même personne qui signe à la fois la mise en scène et la scénographie, par exemple Jean Bellorini dans son dernier spectacle Karamazov (il en signe aussi la musique!) ou Stéphane Braunschweig depuis ses débuts je crois, j’oscille un peu entre méfiance et admiration. On en avait parlé dans un précédent "Petit Salon", en France traditionnellement le metteur en scène est le roi du spectacle, il ne cède pas facilement ses droits, ni sur l’élaboration du texte, ni sur la mise en espace. Ce n’est pas le cas outre Rhin, en Belgique ou en Allemagne où les metteurs en scène s’entourent volontiers d’équipes fournies, dramaturges et scénographes. Ivo Von Hove travaille systématiquement avec les mêmes, Thomas Ostermeier aussi. En France la limite est plus floue entre mise en scène et scénographie, ou du moins elle ne se dit pas toujours comme telle. Il semble qu'on en parle moins simplement, ou avec méfiance, comme si elle ôtait de son pouvoir ou de son prestige à la mise en scène. En dehors peut-être de quelques stars de la discipline, comme Richard Peduzzi qui œuvrait aux côtés de Patrice Chéreau ou de Luc Bondy, on connaît peu les scénographes français. Pourtant la scénographie a toujours existé, même si elle ne se nommait ainsi, Louis Jouvet par exemple travaillait avec Christian Bérard, le surnommé “Bébé”, peintre, grand décorateur pour le théâtre, l’opéra et le cinéma des années trente et quarante, et qui a largement contribué à inventer le théâtre novateur que Jouvet pratiquait alors. En janvier dernier Daniel Jeanneteau a pris la direction du théâtre de Gennevilliers, Daniel Jeanneteau qui est qualifié dans tous les journaux de “metteur en scène” depuis qu’il s’est je cite par exemple Le Monde “émancipé de la tutelle du maître Claude Régy”, mais qui est bel est bien scénographe de formation, et qui aborde d’ailleurs le théâtre, à mon avis, toujours en scénographe. N’avez- vous pas l’impression qu’il existe une forme de méfiance envers la scénographie en France, comme une peur que la chose théâtrale, tellement portée vers le texte, ne se dissolve dans une réflexion sur le pur espace...

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