![Les fous de Benghazi, "cheap porn", mais "exactement ce dont la Commission [d'enquête sur l'attaque du Consulat] a besoin", affirme le Daily Beast en 2014. Où sont passés les Malheurs de Sophie ?](https://www.radiofrance.fr/s3/cruiser-production/2017/04/853c3b21-cdf5-479a-9dc0-3bb24abc89cb/1024x320_sas_191.jpg)
![Les fous de Benghazi, "cheap porn", mais "exactement ce dont la Commission [d'enquête sur l'attaque du Consulat] a besoin", affirme le Daily Beast en 2014. Où sont passés les Malheurs de Sophie ? - Editions Gérard de Villiers](https://www.radiofrance.fr/s3/cruiser-production/2017/04/853c3b21-cdf5-479a-9dc0-3bb24abc89cb/560x315_sas_191.jpg)
Alors que les "feel good books" ont l’honneur d’un dossier dans Livre Hebdo et ou quai du Polar rencontre un succès croissant, un article court et dense d'Hubert Prolongeau dans Le Monde diplomatique annonce « Le retour du roman de gare »
Depuis trois ou quatre ans, plusieurs signes éditoriaux, comme la réédition des San Antonio de Frédéric Dard dans la collection Bouquins chez Robert Laffont, témoignent sinon d'un nouvel élan, du moins d'un respect patrimonial affirmé pour le roman de gare.
Signes aussi d’un intérêt renouvelé pour le genre : la résurrection l’année dernière de Bob Morane en suites inédites – Les nouvelles aventures – ou en bande dessinées, toutes deux publiées à Bruxelles. En France; H. Prolongeau s'attache à la naissance de la maison d'édition French Pulp « qui dynamise la littérature de genre » indique l'éditeu : en fait, un éditeur qui re-publie surtout des séries françaises à succès des années 80 comme La compagnie des glaces de Georges-Jean Arnaud, ou Rififi d’Auguste le Breton. La directrice de Franch Pulp Nathalie Carpentier le revendique dans Actualitté le 13 janvier : « c'est un patrimoine, […] du roman noir à la saga en passant par le Space Opera ». C’est aussi un positionnement littéraire face à une autre production elle aussi aujourd’hui dénigrée : « Tremblez thriller, best seller et autres feel good books ».
De quel goût ce intérêt témoigne-t-il ? Pour Bob Morane, on peut se demander pourquoi cette figure d'aventurier née au plus fort de la colonisation belge rencontre aujourd'hui un tel succès. « Goût du vintage » s'interroge H. Prolongeau ? Intérêt plus large pour l’esthétique « Pulp » (du nom de la pulpe de bois peu coûteuse avec laquelle on fabriquait ces revues)? Pas seulement : French Pulp réédite les ouvrages sans leur couverture originale bariolées. H. Prolongeau pencherait plus pour une certaine a-temporalité des grands thèmes : le roman noir est aussi un discours sur l'état du monde, où ces grandes séries françaises mettent en scène terrorisme et catastrophe écologique.
Faut-il alors y voir une revivification du roman de gare, ou un phénomène de séries "muséifiées" par voie éditoriale ? C'est « une réédition qui fait plaisir » témoigne une critique sur internet de Génération Clash, une série de Gilles Maurice Dumoulin dont le premier roman a été publié en 1983 : « un roman qui se lit avec une extrême facilité. Un long trajet en transports en commun et on arrive au bout […]. Le choc générationnel de ce roman, aussi ancien soit-il, peut évidemment s’appliquer à notre époque actuelle, et c’est probablement dans cette atemporalité que réside un bon bouquin d’anticipation. Il s’agit ici d’un premier tome dense, mais loin d’être ennuyeux, d’une trilogie qui s’achève juste au moment où on voudrait savoir la suite […] »
Pour French Pulp et ce type de roman, la réédition séduit. Au-delà, difficile d'identifier au roman de gare les Light Novels pour adolescents japonais (Le Figaro, 2016), ou les récits feuilletonnés pour smartphone de l’opérateur coréen NHN (rapportés dans un article d'Hankoryeh 21), sinon par le fait que ces derniers sont conçus pour des voyages en transports en commun. De même, les distributeurs d’histoires courtes mis en place en 2016 par la SNCF et Short Edition ne sont pas non plus des usines à livres de poche. D'ailleurs en France, les habitudes de lecture et de déplacement ont changé soulignait l’année dernière dans Livre Hebdo le directeur de la Série Noire chez Gallimard Aurélien Masson.
Les entreprises ferroviaires elles, ont renoué avec leur rôle historique dans le développement du roman de gare en se faisant libraire, voire éditeur : aujourd'hui le prix du Polar SNCF, est populaire et promu sur le réseau. La SNCB est en pointe, en comptant sur les 1h15 de transport quotidien moyens des « navetteurs » belges, elle a lancé un concours de romans en 2011. Pour 10 euros l'ouvrage, elle promet du style, de l'aventure, du fantastique, de l'enquête et du sordide (Les dépeceurs de Spa, La prophétie du Jaguar, ou Meurtre à Waterloo).
Autre signe éditorial ambigu : la réédition en 2014 en édition collector la série SAS par les éditions Gérard de Villiers. C’était après un article élogieux du New York Times à la mort de l'écrivain l'année précédente. L'éditeur annonçait alors 30 000 exemplaires des Fous de Benghazi vendus aux librairies américaines - on était dans les mois qui suivaient l'attaque du consulat américain de Benghazi, un bon chiffre, mais loin encore des 500 000 livres vendus chaque trimestre au plus fort du succès de Gérard de Villiers en 1986.
Enfin, si l'on parle de littérature populaire, faut-il voir une concurrence sérieuse dans la prolifération des Feel Good Books ou le succès des récits sentimentaux de Marc Levy ou Guillaume Musso ? Ces livres de 400 ou 500 pages s'apparentent plus à des romans de plage que de courts trajets mais ils sont parfois lus aussi dans les transports en commun.
L’intérêt littéraire ou patrimonial est-il pertinent pour discerner un retour du roman de gare ? Peut-être pas… Mais la qualité de la production compte quand même : « J'ai fait ma carrière avec 300 mots, tous les autres je les ai inventés », aimait dire l'auteur de la série des San Antonio Frédéric Dard : quel écrivain à succès peut aujourd’hui s’en prévaloir ?
Entre ré-éditions de prestige ou patrimoniales de succès passés et multiplication d'autres types de récits populaires, comment distinguer un renouveau, français, ou francophone ? Pulp et Polar : que penser de cette résurrection somme toute sélective du roman de gare ?
X. M.
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