Quelle politique sociale pour le néo-libéralisme ?

Foule humaine écrivant la justice sociale sur un fond blanc -
Foule humaine écrivant la justice sociale sur un fond blanc - ©Getty - Micro Stock Hub
Foule humaine écrivant la justice sociale sur un fond blanc - ©Getty - Micro Stock Hub
Foule humaine écrivant la justice sociale sur un fond blanc - ©Getty - Micro Stock Hub
Publicité

Le néolibéralisme n’autorise que les actions qui ne modifient pas les conditions d’existence du marché, les autres interventions sont interdites. Alors, quelle politique sociale pour le néolibéralisme ?

C’est dans le cours du 14 février 1979 de l’ouvrage Naissance de la biopolitique que Michel Foucault aborde la question de la politique sociale. Il rappelle d’abord que dans les années 50, un consensus existait autour de l’idée que la politique sociale avait pour objectif de produire une relative péréquation de l’accès de chacun aux biens consommables, de faire contrepoids aux processus économiques sauvages générateurs d’inégalités et de socialiser certains types de consommation. La politique sociale devait aussi organiser des transferts de revenus et être d’autant plus généreuse que la croissance était forte. Les néolibéraux vont remettre en cause chacun de ces éléments. D’abord, selon eux, une politique sociale ne peut pas se donner pour objectif l’égalité. Elle doit au contraire laisser jouer l’inégalité : le jeu économique est en effet une sorte de grand régulateur général de la société auquel chacun doit se prêter et se plier. Donc pas d’égalisation et pas de transferts de revenus, sauf pour assurer un minimum vital à ceux qui ne peuvent pas assurer leur propre existence.

"Chacun doit s’assurer individuellement"

Ensuite, l’instrument de cette politique sociale ne peut pas être pas la socialisation de la consommation et des revenus, mais au contraire une privatisation : chacun doit s’assurer individuellement. La forme fondamentale de la politique sociale, écrit Foucault, ça ne doit pas être quelque chose qui viendrait contredire et compenser la politique économique. Dès lors, il n’y a qu’une sorte de politique sociale légitime, c’est la croissance économique. "C’est la croissance économique, écrit-il, qui, à elle seule, devrait permettre à tous les individus d’atteindre un niveau de revenus qui leur permettrait ces assurances individuelles, cet accès à la propriété privée, cette capitalisation individuelle ou familiale avec laquelle ils pourraient éponger les risques".

Publicité

Il rappelle que c’est un conseiller du chancelier Erhard qui a promu cette approche et l’a qualifiée d’économie sociale de marché, mais que pour un tas de raisons cette politique n’a pas pu être complètement mise en œuvre en Allemagne. Pourtant, ajoute-t-il, l’idée d’une privatisation des mécanismes d’assurance, l’idée en tout cas que c’est à l’individu, par l’ensemble des réserves dont il va pouvoir disposer, de se protéger contre ces risques, cet objectif est celui que vous voyez à l’œuvre dans les politiques néolibérales telles que celle que nous connaissons actuellement en France. C’est ça la ligne de pente. La politique sociale privatisée.

"La sécurité sociale doit rester économiquement neutre"

Dans le cours du 7 mars, Foucault déploie une analyse magistrale montrant quand la France a basculé dans le néolibéralisme. Alors qu’elle poursuivait depuis l’après seconde guerre mondiale une politique visant la redistribution et le plein emploi, utilisant comme instrument la sécurité sociale et un financement par les cotisations sociales qui, selon Pierre Laroque lui-même, ne pesait en aucune manière sur l’économie puisqu’il s’agissait d’une partie du salaire. Un rapport réalisé par des élèves de l’ENA en 1976 développe une analyse radicalement différente. Il défend l’idée que la sécurité sociale a de lourdes incidences sur l’économie, notamment parce qu’elle rend le travail plus coûteux, provoque donc une augmentation du chômage et introduit une distorsion dans les revenus. La sécurité sociale, écrivent les énarques, introduit un certain nombre d’effets économiques. Or, continuent-ils, l’objectif de la sécurité sociale n’est pas et ne doit pas être de nature économique. La sécurité sociale doit rester économiquement neutre. Cette idée typiquement néolibérale avait déjà été développée, indique Foucault, en 1972, par le ministre des Finances, un certain Valery Giscard d’Estaing, qui soutenait que dans une politique économique saine, il faudrait dissocier entièrement ce qui correspond aux besoins de l’expansion économique et, d’autre part, ce qui correspond au souci de solidarité et de justice sociale. L’impôt négatif proposé à l’époque par Lionel Stoleru représente la quintessence de cette politique néolibérale qui interdit toute modification de la structure des revenus.

La chronique est à écouter en cliquant sur le haut de la page. Histoire, économie, sciences, philosophie, histoire de l'art… Écoutez et abonnez-vous à la collection de podcasts "Le Pourquoi du comment " ; les meilleurs experts répondent à toutes les questions que vous n'osez poser.