Pourquoi parle-t-on d'Etat-Providence ?

Woman and child holding red heart
Woman and child holding red heart ©Getty - Manusapo Kasosod
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Qu’est-ce que l’Etat-Providence ? Un député du Second Empire aurait employé pour la première fois cette formule dans un sens péjoratif. Est-ce vrai ? Comment l’Etat-Providence est-il né ? Comment s’est-il déployé ? N’y-a t -il qu’une seule forme d’Etat-Providence dans le monde ?

On fait traditionnellement remonter l’invention du terme « Etat-providence » au discours d’un député du second Empire, Emile Ollivier, qui l’aurait utilisée en 1864 dans un sens péjoratif. Il critiquait en effet l’incapacité de l’Etat à procurer aux individus la même protection que celle qu’assuraient les corporations avant leur suppression en 1791. Pour les libéraux, l’Etat providence est l’enfant monstrueux de la Révolution française parce que celle-ci a supprimé tous les corps intermédiaires entre l’individu et l’Etat : ce dernier a donc été obligé de devenir la Providence des malheureux. La dénonciation d’un Etat qui veut intervenir dans toutes les affaires de la société et ne se contente pas d’une position de gendarme faisant régner l’ordre et protégeant la propriété privée est en réalité un poncif de toute la deuxième moitié du XIXème siècle. Le sociologue François-Xavier Merrien a montré que l’expression avait été utilisée bien avant 1864, dès la Révolution de 1848 et la Seconde République, à la fois par les socialistes, qui réclamaient un Etat social et interventionniste, et par les libéraux, qui le refusaient catégoriquement. Ces derniers craignaient en effet que l’Etat ne finisse par organiser toute la société avec comme conséquences non seulement des dépenses inconsidérées mais surtout la suppression de la propriété privée.

L’Etat-providence s’est mis peu à peu en place tout au long du XIXème et du XXème siècle, notamment à travers le déploiement d’un système de protection sociale, mais les résistances ont été farouches

La pensée libérale s’opposait en effet vigoureusement à toute forme d’intervention obligatoire de l’Etat, y compris sous la forme d’une assistance publique. Seule la prévoyance individuelle était censée permettre aux travailleurs de faire face aux risques que la Révolution industrielle avait rendu de plus en plus fréquents. Il faudra attendre la fin du XIXème siècle pour que soit votée, en 1898, la loi sur les accidents du travail - qui introduit la notion de risque social et admet une responsabilité sans faute de l’employeur - ainsi que les lois organisant une forme d’assistance publique envers certaines catégories de la population (enfants, vieillards, infirmes….). Le débat sur l’opportunité de développer des assurances sociales occupera une bonne partie des premières décennies du XXème siècle en France. Et c’est seulement en 1945 que notre pays décidera de la mise en place d’un système complet de sécurité sociale visant à protéger les travailleurs et leur famille contre les risques sociaux – alors que l’Allemagne l’a fait dès la fin du 19ème siècle. Comme le système allemand, la sécurité sociale française repose sur des cotisations sociales payées par les employeurs et les salariés : on parle pour cette raison de modèle bismarckien. Mais notre Etat-providence ne vise pas seulement à couvrir les individus contre les risques sociaux : il a aussi pour ambition d’assurer le bien-être de l’ensemble des citoyens, comme le proposait le rapport Beveridge de 1944. On parle ainsi de Welfare state.

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L’expression d’Etat-providence est désormais entrée dans le langage commun et désigne au sens large l’ensemble des interventions économiques et sociales de l’Etat. Le sociologue Gösta Esping-Andersen a proposé une typologie distinguant trois types d’Etat-Providence selon l’ampleur de la redistribution qu’ils assurent : l’Etat-providence libéral, l’Etat-providence corporatiste-conservateur et l’Etat-providence social-démocrate. Le premier organise des transferts assez faibles concentrés sur les plus pauvres ; le second protège les travailleurs en conservant les différences de classe ; le troisième assure une forte redistribution et s’appuie sur des services publics très développés. Bien que classée par Esping-Andersen dans la catégorie des Etats-Providence corporatiste conservateurs, la France est souvent considérée comme un intermédiaire entre les deux derniers modèles. La crise sanitaire a mis en évidence le caractère à la fois très précieux et toujours à améliorer de notre Etat-Providence. 

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