Comment bien se taire ? Les leçons de Paul Dirac

Quand apprendre à se taire devient une vertu à transmettre
Quand apprendre à se taire devient une vertu à transmettre ©Getty - Photo Alto / Sandro Di Carlo Darsa
Quand apprendre à se taire devient une vertu à transmettre ©Getty - Photo Alto / Sandro Di Carlo Darsa
Quand apprendre à se taire devient une vertu à transmettre ©Getty - Photo Alto / Sandro Di Carlo Darsa
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Pourquoi sommes-nous entrés dans un régime de la palabre à tous les étages ?

"On dit de la Médecine qu’elle est un Art ; on le dit aussi bien de la Vénerie, de l’Équitation, de la conduite de la vie ou d’un raisonnement. Il y a un art de marcher, un art de respirer : il y a même un art de se taire." Le propos est de Paul Valéry. Cet art de se taire semble s’être quelque peu perdu. Comme l’explique Nicolas Truong dans son essai La société du commentaire, nous sommes désormais pris dans un flot de paroles incessant au sein duquel il nous faut donner un avis à tout bout de champ. Ainsi sommes-nous entrés dans un régime de la palabre à tous les étages. Selon Nicolas Truong : "Le commentaire est devenu un spectacle et l’information un divertissement".

Paul Adrien Maurice Dirac (1902-1984), un physicien qui savait se taire

Ce constat m’incite à vous parler de Paul Adrien Maurice Dirac, cet immense physicien qui parvint à prédire l’existence de l’antimatière dans les années 1930. Son exemple pourrait en effet nous aider à nous rééduquer en matière de discrétion verbale. Car lui fut un grand taiseux, un presque mutique, un champion olympique de laconisme. À ce sujet, les anecdotes abondent. En 1931, en séjour à l’université du Wisconsin, Dirac expédia un jeune journaliste au bord de la crise de nerfs en répondant ainsi à ses questions :

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- Professeur Dirac, j’ai remarqué que vous aviez beaucoup d’initiales devant votre nom de famille : P, A, et M. Ont-elles une signification particulière ? - Non. - Vous voulez dire que je peux les interpréter à ma guise ? - Par exemple, si je disais que les lettres P, A et M signifient Poincaré, Aloysius et Mussolini, cela vous irait ? - Oui. - Pouvez-vous me donner des nouvelles de vos recherches ? - Non. - Qu’est-ce que vous aimez le plus en Amérique ? - Les pommes de terre.

Un taiseux qui ne céda jamais aux facilités du commentaire

Dirac fut-il plus sociable avec les grands de ce monde que sa célébrité de prix Nobel l’amenait à fréquenter ? Pas vraiment. Lors d’un dîner donné à Cambridge, au beau milieu de convives qui caquetaient, Dirac se retrouva assis aux côtés d’un ministre. Connaissant la réputation de son voisin, l’homme politique se demandait comment engager la conversation. Ce soir-là, le vent soufflait très fort et le spectacle d’arbres courbés par les bourrasques inspira le brave ministre, qui finit par lâcher : "It is very windy today, isn’t it ?". Dirac se leva sans dire un mot, puis se dirigea vers la terrasse. Le ministre, interdit, pensa l’avoir offensé. Dirac ouvrit la porte-fenêtre, fit un pas dehors, huma l’air, puis revint tranquillement s’asseoir à sa table et déclara : "Yes, Sir".

Comment expliquer cette parcimonie verbale ? Sans doute par le fait que Dirac ne voulait dire que des choses vraies sans jamais céder aux facilités du commentaire. Questionné par l’historien des sciences Thomas Kuhn en mai 1963, l’intéressé livra toutefois une autre interprétation.

Quelles étaient les origines de Paul Dirac ?

Sa famille paternelle était originaire du village de Dirac, en Charente, qui lui a donné son nom, mais elle quitta cette la France pendant les guerres napoléoniennes pour s’établir à Genève. En 1888, Charles Dirac, le futur père de Paul, décida de quitter sa famille pour s’établir en Angleterre. Un peu plus tard, il y rencontra celle qui allait devenir sa femme et la mère de trois enfants, dont Paul Adrien Maurice. Jusque-là, rien qui puisse prédisposer une progéniture au laconisme. Sauf que Charles Dirac conservait un amour nostalgique pour sa langue maternelle et qu’il avait par ailleurs hérité de son père un autoritarisme maladif. Le résultat en fut cette curieuse injonction qu’il adressa à ses enfants : ils ne devaient jamais lui parler qu’en français. Or le petit Paul était incapable de s’exprimer correctement dans cette langue. Dès son plus jeune âge, il préféra donc demeurer silencieux, autant que possible.

Adulte, Paul Dirac demeurera convaincu que l’artillerie demeure l’unique domaine dans lequel l’abondance de la mitraille compense l’imprécision du tir. Il ne parlerait donc que lorsqu’il jugerait la chose absolument indispensable et en usant du plus petit nombre de mots possible. C’était un minimaliste. (...)

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