L'Accident de chasse : un Fauve sort de la nuit

Aujourd'hui dans Le Rayon BD, un premier retour sur le Festival International de la bande dessinée d’Angoulême ou plutôt sur le palmarès du Festival d’Angoulême puisque la partie publique du Festival avec rencontres, dédicaces, et expositions aura normalement lieu du 24 au 27 juin 2021. En attendant l'édition "estivale", la traditionnelle remise des prix a été présidée par Thomas VDB, qui a notamment fait référence à la situation des autrices et des auteurs de bande dessinée qui continuent de se faire entendre pour demander le lancement d’une vraie concertation concernant leur statut juridique, leur protection sociale, le partage des revenus du livre… Le collectif Autrices-Auteurs en Action a appelé au boycott de la session publique du Festival si rien n’avance dans les mois qui viennent. 

Un palmarès divers et éclectique 

Le palmarès du 48ème Festival d’Angoulême consacre notamment une bonne proportion d’autrices à l'instar du Prix Goscinny du meilleur scénario attribué à Loo Hui Phang pour Black out avec Hugues Micol (Futuropolis), le Prix de l’Audace revient à Gabrielle Piquet pour La Mécanique du sage chez Atrabile, Le Prix jeunesse (8 à 12 ans) à Sophie Gerrive pour Le Club des amis édité chez 2024, le Prix du Public France Télévision a été décerné à Léonie Bischoff pour son Anaïs Nin sur la mer des mensonges, chez Casterman, et le Prix Révélation a été attribué à Maurane Mazars, pour Tanz !, paru au Lombard. 

La Fauve d'or 2021 : un véritable coup de maître

Présidé par l'historien et théoricien Benoît Peeters, le Jury de la 48ème édition du Festival d'Angoulême a décerné le Fauve d'or du meilleur album à L'Accident de chasse, du scénariste David L. Carlson et dessinateur Landis Blair, traduit de l'américain par Julie Sibony, paru en France aux éditions Sonatine. Selon les mots de Benoît Peeters, le jury a consacré "roman graphique au sens le plus fort du terme", "un livre qui arrive à faire vivre à la fois un univers carcéral et la Divine Comédie de Dante et nous montrer toute sa modernité, nous donner envie de rentrer dans un enfer, qui est aussi un enfer de poésie."

Inspiré d'une histoire vraie, ce premier roman graphique se déroule à Chicago en 1959, où le petit Charlie 11 ans se retrouve à vivre avec son père, après le décès de sa mère. Son père Matt habite une pièce unique à peine meublée, avec des livres et une machine à écrire. Il est aveugle. A son fils qui lui demande pourquoi, il raconte l’histoire d’une partie de chasse entre copains, à l’adolescence, qui aurait mal tourné jusqu'au moment où Charlie va apprendre la véritable histoire qui se cache derrière la cécité de son père. 

J'ai passé six mois à discuter de Matt Rizzo, avec son fils Charlie Rizzo. Je me suis documenté, j'ai lu ce qu'avait écrit son père en prison. Ses œuvres ne sont pas éditées, mais se trouvent à la bibliothèque de Chicago. J'avais un immense corpus. Quand j'ai commencé à écrire, je me suis dit que c'était impossible pour le lecteur de voir le monde à travers le regard du personnage, puisqu'il est aveugle. Néanmoins, je me suis dit qu'on pouvait percevoir son univers en se projetant dans son imaginaire, avec la notion de la vérité de l'imagination.
David L. Carlson

Le pouvoir de l'imaginaire

Le pouvoir de l'imaginaire, c'est ce qui m'a initialement attiré dans cette histoire. Dans ma propre vie, il faut que j'entende la voix du poète. Et cet univers j'ai pu y pénétrer grâce à Matt Rizzo. Il est donc question de la Divine Comédie de Dante que Matt Rizo lisait. Quand je me suis documenté, j'ai regardé des images représentant l'Enfer de Dante. Matt était dans un centre carcéral, qui était une prison panoptique, à Stateville, dans l’état de l'Illinois. C'est Jérémy Bentham qui a eu l'idée d'une conception architecturale et sociologique de telle façon qu'on puisse observer tous les résidents de façon centralisée. Matt Rizo était dans une petite cellule, et c'était un enfer pour lui, et il s'est retrouvé dans sa cellule avec Nathan Leopold, criminel tristement célèbre.
David L. Carlson

Alors que David L. Carlson et Landis Blair n'avaient jamais travaillé ensemble, l’alchimie opère : de leur collaboration va naître cette œuvre magistrale en noir et blanc, mélange parfait de roman noir et de poésie, d’une grande force expressionniste et chargé de symboles et de trouvailles graphiques. Inspiré de l'univers de Dante, ce livre et la technique du dessin n'est pas sans rappeler le travail d'Emil Ferris, couronnée au Festival d'Angoulême en 2019 ou encore le dessin de Thomas Ott. 

La puissance de la rédemption

L'un des grands thèmes de ce roman graphique, c'est la rédemption. Clarence Darrow qui a défendu les deux meurtriers Nathan Leopold et Richard Loeb a fait une grande plaidoirie parce qu'il voulait leur faire éviter la peine de mort. Cela a eu beaucoup de retentissement dans l'opinion public. A la fin de sa plaidoirie, il explique que la pitié est la chose la plus noble que l'homme puisse exprimer. (…) Le sous entendu dans l'histoire de Matt Rizzo, c'est qu'il faut tuer les vices dont on souffre, mais aussi les vertus, il faut s'en libérer.
David L. Carlson 

En presque 500 pages pleines de noirceur et de lumière, au dessin fouillé, les auteurs nous immergent complètement dans ces histoires enchâssées qui abordent de grands thèmes universels : la relation père-fils, le mal, la puissance de la littérature, et donc la rédemption.

Il m'a fallu un an pour écrire le scénario, et 4 ans de travail pour Landis Blair. Je l'ai contacté à un moment de sa vie où il travaillait à mi-temps dans une galerie d'art. Il lui fallait ce déclencheur pour être artiste à part entière. Aujourd'hui, on discute, on évoque des idées, on s'intéresse beaucoup à la religion mais ça va nous prendre du temps de faire un livre de la même ampleur que "L'Accident de chasse" !
David L. Carlson

Palmarès du Festival d'Angoulême 2021

• Fauve - Prix spécial du jury : Dragman de Steven Appleby ( Denoël Graphic)
• Fauve - Prix de la série : Paul à la maison de Michel Rabagliati ( La Pastèque)
• Fauve - Prix de l’audace : La Mécanique du sage de Gabrielle Piquet ( Atrabile)
• Fauve - Prix révélation : Tanz ! de Maurane Mazars ( Le Lombard)
• Fauve - Prix des lycéens : Peau d’homme de Hubert et Zanzim ( Glénat)
• Fauve - Prix du public France Télévisions : Anaïs Nin, sur la mer des mensonges de Léonie Bischoff ( Casterman)
• Fauve - Prix du patrimoine : L’Éclaireur de Lynd Ward ( Monsieur Toussaint Louverture)
• Fauve - Polar SNCF : GoSt111 de Mark Eacersall, Henri Scala et Marion Mousse ( Glénat)
• Fauve - Prix Jeunesse 12-16 ans : Middlewest / Tome 1 de Skottie Young et Jorge Corona ( Urban Comics)
• Fauve - Prix Jeunesse 8-12 ans : Le club des amis de Sophie Guerrive ( 2024)
• Fauve - Prix de la BD alternative : The Thick book of KUTI (Finlande)
• Prix René Goscinny - prix du meilleur scénario 2021 attribué à Loo Hui Phang, pour Black Out, dessiné par Hugues Micol ( Futuropolis)