C'est une activité que l'Assurance Maladie ignorait en janvier 2020. A partir du mois de mai, elle est devenue indispensable : le contact-tracing, ou traçage des contacts en français, consiste à chercher qui les personnes positives au Covid-19 ont pu contaminer à leur tour, pour limiter la pandémie.
Entre les périodes de confinement, c'est l'un des principaux outils du gouvernement pour freiner la propagation de l'épidémie de Covid-19, l'un des piliers du dispositif "tester - tracer - isoler" théorisé par Emmanuel Macron : le traçage des contacts, qui consiste à aller chercher les personnes qui ont côtoyé les patients positifs au coronavirus pour qu'ils s'isolent à leur tour.
"Il y a un an, si vous m'aviez dit qu'on monterait une plateforme téléphonique de la sorte, je ne vous aurais pas cru", raconte avec un sourire Juliette Chatelut, sur le plateau où ses agents multiplient les appels. La jeune femme est responsable du contact tracing à la Caisse primaire d'assurance maladie de l'Essonne, une mission créée au mois de mai.
Dans les locaux d'Evry, Kevin, l'un des employés, enchaîne : après avoir recensé les personnes croisées par un homme testé positif ce matin, il appelle une autre femme, déclarée cas contact la veille.
"Bonjour, je me permets de vous appeler aujourd'hui dans le cadre de la campagne contre le Covid-19. C'est parce que vous avez été identifié comme cas contact d'une personne testée positive", explique-t-il. "Il nous a fait enregistrer comme date de dernier contact le 13. Est-ce que vous le confirmez ?" Kevin a été engagé ici il y a deux mois, en renfort quand la deuxième vague a commencé à s'imposer : depuis, il réalise une vingtaine d'appels de ce type par jour.
Son interlocutrice était en route vers son lieu de travail quand il l'appelle : elle fait immédiatement demi-tour. Elle doit en effet s'isoler, en attendant les résultats du test qu'elle devra réaliser sept jours après son dernier contact avec le cas positif.
Devant son écran d'ordinateur, le jeune homme lui explique la démarche à suivre pour obtenir un arrêt de travail. Quelques minutes de conversation au téléphone qui permettent, espère-t-il, de casser la chaîne des contaminations.
A la CPAM de l'Essonne, en ce moment, il faut joindre entre 600 et 800 personnes, calcule Juliette Chatelut. Mi-novembre, lors du pic de la seconde vague, ces chiffres étaient trois fois plus élevés. C'était un véritable défi, décrit la jeune femme.
"On doit contacter dans les 4 ans un patient positif, dans les 24 heures ses cas contacts. Pendant le pic épidémique, on a mobilisé plus de 90 collaborateurs chaque jour. Aujourd'hui, on est plus autour d'une trentaine."
Mais depuis une semaine, elle note une remontée, encore légère mais réelle, du nombre de personnes à joindre chaque jour. Et elle redoute, avec les fêtes de fin d'année, une reprise exponentielle des contaminations.
"TousAntiCovid", un résultat en demi-teinte
Un travail de fourmi commencé au mois de mai, avec le premier déconfinement. Mais il s'avère parfois franchement impossible, selon Pascal Crépey, épidémiologiste à l'école des hautes études en santé publique à Rennes, spécialiste des biostatistiques.
"Lorsqu'on est dans une phase croissante de l'épidémie, et qu'il y a de plus en plus de personnes infectées, à un moment ou à un autre, le contact tracing manuel avec des ressources humaines va être débordé, car il y aura trop de monde, et ce ne sera plus faisable."
Alors lui prône le recours au traçage numérique, grâce aux applications smartphone. L'exécutif a tenté de le mettre en place depuis le mois de juin, d'abord avec l'application StopCovid, très critiquée. Elle a ensuite été remodelée et rebaptisée en octobre, pour devenir TousAntiCovid.
Elle permet de prévenir les personnes qui ont été en contact avec un malade du coronavirus, à condition que chacun dispose du logiciel sur son téléphone, activé, au moment de la rencontre. Téléchargée plus d'onze millions de fois, elle a envoyé seulement 24 000 alertes à des utilisateurs : c'est un résultat en demi-teinte, reconnaît le Dr Crépey. "Pour ce type d'application, il y a toujours l'angoisse d'être traqué, que les informations soient mal utilisées, mais c'est une angoisse qui peut être facilement levée parce que les caractéristiques de l'application assurent un très haut niveau de sécurité", affirme-t-il.
Stéphanie Lacour se montre beaucoup plus critique. Directrice au CNRS, elle est juriste spécialisée dans la régulation des technologies émergentes. Selon elle, Tous Anti Covid pose toujours un vrai problème :
"Quand on a lancé ces applications, la CNIL a beaucoup insisté sur l'idée qu'elle acceptait qu'on les lance, malgré les risques évidents pour les données à caractère personnel. Mais qu'elle attendait que régulièrement le gouvernement fasse la preuve de l'efficacité de ces outils dans la lutte contre la pandémie. Pour le moment, cette évaluation n'a pas été effectuée et ça, c'est extrêmement problématique."
Alors entre un tracing réalisé quasiment à la main, fastidieux et parfois insuffisant pour gérer les pics, et un tracing électronique qui peine à convaincre une partie des Français, quels outils utiliser pour tracer efficacement les malades ?
Le professeur Antoine Flahault, professeur de santé publique à l'université de Genève, défend le traçage rétrospectif, ou "rétrotracing" : cette méthode part du principe que 9 personnes positives sur 10 vont peu transmettre la maladie, quand les 10% restant peuvent contaminer plusieurs personnes. Alors au lieu d'identifier qui une personne positive a potentiellement infecté, on cherche en amont celui qui a causé le cas positif, afin de trouver les potentiels supercontaminateurs.
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Une méthode sur laquelle l'Assurance maladie commence à se pencher depuis quelques semaines, pour peut-être l'inclure dans son arsenal de méthodes contre le Covid-19.
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