Le secteur des théâtres de marionnettes est frappé de plein fouet par la fermeture des lieux culturels. Des artistes pensent à jeter l’éponge ou à une reconversion. Mais un grand espoir existe pour relancer la machine : Charleville-Mézières, capitale mondiale de la marionnette.
L’association nationale des théâtres de marionnettes et des arts associés, Themaa, affiche une très forte inquiétude sur l’avenir du secteur, après des mois de fermeture des lieux culturels.
Plus de 600 compagnies sont concernées en France. Et en comptant les auteurs et plasticiens qui ne bénéficient pas, eux, du statut d’intermittent, plusieurs milliers d’artistes sont actuellement privés de travail.
Le président de Themaa, Nicolas Salaens qualifie la situation de catastrophique, évoque des projets d’abandon ou de reconversion dans la profession et souligne l’importance cruciale du festival des théâtres de marionnettes qui se tient tous les deux ans, à Charleville-Mézières dans les Ardennes, le plus grand rassemblement de marionnettistes du monde :
"L'art de la marionnette est en soi un art de la résistance" : Nicolas Salaens, président de Themaa
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La cité natale de Rimbaud est réputée pour être aussi la capitale mondiale de la marionnette, avec un institut international, une école supérieure et un musée.
Rien n’est complètement arrêté dans la ville, malgré de plus fortes restrictions face à la pandémie, dans un des premiers départements où le couvre-feu a été fixé à 18 heures.
La 21e édition du festival mondial des théâtres de marionnettes est toujours programmée du 17 au 26 septembre 2021.
Avec en moyenne 150 000 spectateurs, trois fois la population de Charleville-Mézières, sur dix jours, les retombées économiques sont évaluées à 4,7 millions d’euros, selon une étude de la chambre de commerce et d’industrie des Ardennes.
Et à huit mois du rendez-vous qui est devenu, soixante ans après sa création, une véritable institution, tous les acteurs se mobilisent, dans la crainte, mais avec beaucoup d’énergie.
"On tient bon !"
Malgré ce couvre-feu à 18 heures, malgré cette longue fermeture des lieux culturels, malgré cette crise sanitaire qui n’en finit pas, à Charleville-Mézières, le directeur du festival mondial des théâtres de marionnettes, Pierre-Yves Charlois, veut croire à la tenue de la 21e édition, même si elle ne sera pas comme les autres :
On tient bon ! On finalise la programmation : 75 compagnies, 350 représentations, 60% françaises et 40% étrangères. Bien sûr, nous avons dû renoncer à la programmation des équipes artistiques qui viennent de trop loin, d'Amérique du Sud, d'Afrique, d'Asie. Les scénarii que nous avons élaborés prennent en compte l'impossibilité pour les artistes étrangers de venir, des conditions d'accueil du public qui seraient en demi-jauge et donc des impacts économiques directs, puisque le festival a 43% de ressources propres sur la billetterie. Et nous continuons à faire vivre le festival avec l'accueil d'équipes artistiques en résidence, dans nos locaux pour travailler leur prochaine création.
"Tout, ça représente tout !"
La compagnie italienne en résidence du 11 au 23 janvier dans les locaux du festival mondial, Drogheria Rebelot, vient de Milan. Parmi les quatre artistes qui la composent, Nadia, accueille cette aide à la création comme un cadeau :
Tout, ça représente tout ! Parce que nous sommes arrêtés depuis maintenant un an en Italie. C'est l'occasion pour nous de redémarrer et de reprendre le travail d’une autre manière. Notre urgence était de parler de la peur aux enfants. On avait choisi ce projet avant la crise. Et du coup, il a une autre résonnance, un sens encore plus profond. D’autant - et c’est compliqué de parler de cela – d'autant que tout le monde a peur aujourd’hui.
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"Le cœur de la marionnette bat toujours à Charleville"
Le musée de l’Ardenne et de la marionnette, comme l’ensemble des lieux culturels en France, reste fermé au public. Une seule animation, le Grand Marionnettiste, un automate visible de l’extérieur du bâtiment place Winston Churchill, continue de fonctionner, tous les jours. Et c’est un élément moteur pour la directrice de l’établissement municipal, Carole Marquet-Morelle :
Malgré la crise, le cœur de la marionnette bat toujours à Charleville ! Au travers du ”Grand Marionnettiste” qui, chaque heure, nous conte la légende des "Quatre fils Aymon" et on voit des marionnettes s'animer et on entend dans les allées du musée, vide malheureusement, sans public, cette douce musique. Nous gardons espoir. Nous sommes un peu dans un poteau noir, balancé par des vents contraires qui nous empêchent d'avancer, qui nous tiraille. Mais on a toujours notre cap et on va passer le cap Horn et on sera là pour la réouverture avec plein de choses à proposer. On n’a jamais arrêté de travailler. On s'est toujours réinventé. C'est très difficile pour un musée de ne pas avoir son public parce que le musée, c'est du public. Mais le musée, c'est une collection et donc on se tourne vers les collections et on invente d'autres moyens d'aller à la rencontre des publics dans les écoles et aussi en faisant appel au numérique et à des visites virtuelles, des petites découvertes d'expositions que l'on peut mettre en ligne sur les réseaux sociaux.
"Il ne faut pas réduire la marionnette à Guignol ou au spectacle pour enfants, la marionnette, c'est un art total, à la croisée de tous les autres" : Carole Marquet-Morelle, directrice du musée de l’Ardenne.
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"Si on n'a pas d'espoir, on ne fait pas ce métier !"
Charleville-Mézières abrite aussi l’IIM, l’Institut international de la marionnette, un pôle d’excellence, avec le plus grand centre de documentation sur les marionnettes au monde et la seule école supérieure française spécialisée sur les arts de la marionnette : L’ESNAM, dont sortent une quinzaine de diplômés par promotion tous les trois ans. Malgré les difficultés, Coralie, en dernière année, reste déterminée à entrer dans le métier :
C’est difficile de vraiment se projeter. Pour l'instant, j'essaie donc de vivre la fin de l'école au moment présent, en m’investissant à fond dans les stages qu'on nous donne. Et on verra comment ça se passe après. Ce n'est pas le métier le plus facile à faire, en temps normal, même quand il n'y a pas de pandémie. Ce n'est pas le statut le plus stable, donc il en faut plus que ça pour ne plus avoir envie de le faire, pour moi, en tout cas. Parce que si on n'a pas d'espoir, on ne fait pas ce métier !
"Mon espoir, c’est que la marionnette, art visuel par excellence, peut se placer sur toutes les scènes, aussi en France qu’à l’étranger" : Philippe Sidre, directeur de l’Institut international de la marionnette.
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"Un équilibre qui n’est pas facile à réaliser"
Le directeur de l’IIM, Philippe Sidre, a rapidement pris conscience des plus grands obstacles à franchir, pour les nouvelles générations de marionnettistes :
La situation effectivement est très, très compliquée pour les étudiants, mais on a quand même la chance d'avoir des dérogations pour réaliser ce qu'on appelle les travaux pratiques. Et comme cette formation de marionnettiste est constituée à peu près à 90% de travaux pratiques, cela nous permet de pouvoir garder l'école ouverte et de faire tous les cours, quasiment tous les cours, en présentiel. Quand on est dans l'école et que l'école peut fonctionner, c'est un peu comme un cocon, en fait. C'est surtout la préparation et la sortie du cocon qui posent problème. Ils vont terminer avec des projets de fin d'étude et ce qu'on espère, nous, c'est qu'ils puissent jouer après, mais sans prendre la place aussi des compagnies qui sont existantes. C'est un équilibre qui n'est pas facile à réaliser. Au vu de la difficulté pour l'ensemble des artistes qui sont dans les écoles d'art, on a demandé au ministère de la culture de porter une attention très particulière sur l'insertion des jeunes diplômés.
"Dans cet acte de résistance, nous prenons beaucoup de risques"
A quelques centaines de mètres de l’ESNAM, dans le centre-ville de Charleville-Mézières, un de ses anciens étudiants, Romuald Collinet, a fait le pari fou, en pleine crise, d’investir un ancien entrepôt pour le transformer en atelier et salle de spectacle, en utilisant ses propres économies :
Pendant le premier confinement, on s'est dit qu'il fallait recréer du lien entre les personnes et entre nous artistes, collectivement, reprendre en main la création et la diffusion. On a une scène de 40 m2, des ateliers sur 100 m2, une cave d'exposition de 300 m2. On est ici dans un vaste lieu, un studio à la fois de cinéma, d'animation et un lieu d'accueil public pour des représentations. On est prêt à ouvrir. Et en fait, l'idée, c'est que plutôt que d'être dans un "no future", on est dans un "nos futurs", nos propres futurs, nos histoires. Dans cet acte de résistance, évidemment, nous prenons beaucoup de risques dans le sens où on croit à nos projets, on croit au retour du public de manière régulière et de manière massive. C'est cette idée résiliente du "être ensemble" qui nous anime.
Cette nouvelle structure culturelle baptisée L’Arrière-plan pourrait bien accueillir des compagnies à l’occasion de la 21e édition du festival mondial des théâtres de marionnettes, si elle peut être maintenue bien sûr, en septembre prochain.
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