Trois bases de l'opération Barkhane vont fermer d'ici à la fin de l'année. À Tessalit, l'avant-poste le plus isolé de l'armée française du Mali, 80 soldats attendent de transférer le camp aux Maliens.
Le désengagement militaire français au Nord Mali a commencé. Emmanuel Macron a annoncé en juin dernier la réduction des effectifs de l'opération Barkhane, de 5 100 soldats à moins de 3 000, et la fermeture de 3 des 8 bases françaises Kidal, Tombouctou, et Tessalit. Tessalit, le poste avancé le plus isolé, où, après le déménagement de la majeure partie des installations du camp, restent 80 soldats, qui attendent de transférer l’emprise militaire aux forces armées maliennes.
Le reportage à Tessalit de notre envoyé spécial, Franck Cognard.
Ce camp accueillait 200 soldats en moyenne, jusqu'à 500 parfois, mais ils ne sont plus que 80 depuis le 12 octobre, jour du départ du convoi - six jours de route jusqu'à Gao - qui a déménagé la majeure partie des installations de la base. Il a fallu une heure aux 110 camions et blindés pour franchir la dernière chicane qui marque la sortie du camp.
Une "forme de respect" de l'ennemi invisible
"On voit tout le confort partir", explique Florent, le patron du camp. Ce capitaine traverse à grandes enjambées ce qui ressemble désormais à la ville fantôme d'un Far West oublié. "On a ce côté un peu symbolique d'être les derniers Français de Tessalit", indique le capitaine. Tout ou presque est parti du camp dans 140 containers de 100 tonnes, auxquels s'ajoutent un des deux mortiers ainsi que des moyens de détection et de défense. Sur les murs des bâtiments décatis, il faut nettoyer les graffitis laissés. Il faut brûler des affiches. Il y a huit ans de traces militaires françaises à effacer.
Quatre-vingts soldats vont rester à Tessalit encore un mois, sous la menace d'un ennemi éloigné. Le 15 juillet, entre 7h22 et 7h35, 14 roquettes et obus ont frappé le camp et ses alentours. Les militaires appellent ça une attaque indirecte et il y a en plus les mines artisanales (les IED, selon l'acronyme anglais couramment utilisé), mode opératoire d'un adversaire qui fuit le combat frontal. Pourtant, explique le capitaine,
il y a une forme de respect pour l'homme qui est capable de se déplacer, de vivre dans un environnement aussi inhospitalier qu'est l'Adrar, la montagne des Ifoghas. Donc on va dire qu'il y a un respect de chasseurs alpins.
Pour les 80 soldats de Tessalit, il y a, assez étrangement, un sentiment de fierté d'être les derniers. "On se dit qu'on est seuls au monde et qu'on ne peut compter que sur nous, raconte le sergent Thibault. On est loin des moyens, loin des chefs, et donc on est livrés à nous-mêmes. Mais c'est là qu'on se révèle. Et franchement, c'est beau de voir ça. "Il y a vraiment la fierté d'être de ceux qui sont capables d'être un peu loin du confort central de Gao, décrit Florent, le capitaine du camp de Tessalit. Quand je dis qu'on descendra et qu'on roulera le drapeau français de Tessalit pour la dernière fois, forcément, ça parle aux soldats. Ça leur donne le sentiment d'avoir fait quelque chose d'exceptionnel, au sens sémantique du terme d'exception."
"Je suis le médecin en chef", se présente Julien. Le "doc" aime la géographie de Tessalit. Il en convoque l'histoire, remonte aux officiers français méharistes du siècle dernier. Tous les jours à 15 heures, il monte sur un toit pour admirer la lumière. Le bleu si particulier du ciel à cette heure "est très magique, ne serait-ce qu'avec les montagnes que l'on voit à la sortie du camp dans cette zone touarègue", décrit Julien. À plusieurs reprises sur le camp, des militaires se sont présentés ainsi : "Je suis le dernier chef pétrolier de Tessalit", "Je suis le dernier chef de section infanterie de Tessalit", et c'était toujours avec la tête haute.
Une passation loin des tensions diplomatiques
Quand les derniers soldats de Barkhane auront quitté le camp, le drapeau français va descendre, et celui malien monter. Les Famas, les forces armées maliennes, vont s'installer à la place de Barkhane. Et toutes les semaines, le capitaine Florent reçoit son homologue malien, le capitaine Sidibé. Ensemble, ils calent la transition. Le capitaine Sidibé demande à Florent plus d'exercices de défense du camp. Reprendre Tessalit est un symbole, et il veut tenir en cas d'attaque. Tessalit paraît aussi loin de Paris que de Bamako. Les phrases vachardes du gouvernement malien sur "l'abandon en plein vol" que représente le désengagement français passent bien au-dessus des deux officiers. Les tensions politiques entre les deux capitales ne descendent pas jusqu'aux deux capitaines. Ils ont autre chose à faire, leur souci est d'ordre militaire.
À écouter également : Niagalé Bagayoko, présidente de l'African Security Sector Network, et Jean-Hervé Jézéquel, directeur du projet Sahel à l’International Crisis Group au sujet de la situation sécuritaire au Sahel. Dans Les Matins du 25 août dernier.
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