Depuis la mort d’Idriss Déby le 19 avril dernier, le Tchad traverse une zone de turbulences. Son fils, 37 ans, a pris la tête d'un conseil militaire de transition. Mais s'il a promis des élections démocratiques dans les dix-huit mois, des voix dénoncent déjà un coup d'État.
Le 19 avril dernier, la mort d'Idriss Déby a pris tout le monde de court : d'après la version officielle, le président tchadien est tué au combat par les rebelles du Front pour l’Alternance et la Concorde au Tchad. Mais à N'Djamena, les militaires ont rapidement repris le contrôle. Nommé président, le fils du défunt, Mahamat Idriss Déby, 37 ans, général 4 étoiles, a dissous l’Assemblée, abrogé la constitution et nommé un nouveau gouvernement.
Et si celui qui dirigeait la toute puissante Garde présidentielle, l’unité la mieux équipée de l’armée tchadienne, a promis d’organiser des élections libres et démocratiques dans les dix-huit prochains mois, avec l’assentiment du parrain français, l’opposition n'y croit pas. Elle a refusé de reconnaître le nouvel exécutif, en lequel elle voit une continuation du régime Déby.
À 38 ans, Succès Masra est la figure montante de la scène politique tchadienne. Après des études en France et aux États-Unis, il a créé un parti, les Transformateurs, et revendique aujourd’hui 150 000 adhérents. Succès Masra condamne la prise du pouvoir par les militaires, tout comme leur charte de transition.
"Notre pays, on doit l'organiser à travers une transition civilo-militaire, et pas militaro-civile. L'ordre des mots a une importance. Il faut un président civil de transition. On mettrait à côté de lui un vice-président avec une équipe chargée des questions sécuritaires et de défense. Mais on n'a pas besoin d'avoir le fils de l'ancien président qui organise un coup d'État et qui s'installe à la tête du pays. On n'a pas besoin d'avoir un président militaire pour que la question sécuritaire soit importante."
Cette charte est tout sauf démocratique. Elle donne tous les pouvoirs à une personne, Mahamat Idriss Déby, qui peut révoquer tout le monde à n'importe quel moment. Donc, en fait, il peut dessiner le Tchad comme il l'entend. C'est une charte royale. Ce n'est pas une charte démocratique.
Un air de déjà-vu
L’installation d’un nouveau gouvernement, composé dans sa grande majorité par d’anciens caciques du régime, laisse un goût amer à l’avocate Delphine Kemneloum Djiraibé. Cette infatigable militante des droits humains a lutté pendant plus de vingt-cinq ans pour obtenir la condamnation de l’ancien dictateur tchadien Hissen Habré, tout en s'opposant à Idriss Déby, celui-là même qui l'avait renversé par un coup d'État.
Nous pensons que ce n’est pas ce gouvernement-là qui est le gouvernement de transition. Nous pensons qu’il faut un comité avec des personnalités qui peuvent être cooptées sur des profils bien définis. Il ne faut pas des personnes qui se soient impliquées dans toute la mauvaise gouvernance qu’on a vécu pendant trente ans. Il faut aller chercher des Tchadiens propres et crédibles et cela existe.
"Ce comité serait composé d'une dizaine de personnes, qui seraient appelées à travailler pour donner du contenu et de la forme à ce qu'on appelle le dialogue inclusif. De ce dialogue-là sortiront les institutions de la transition et donc un gouvernement de transition qui préparerait les élections."
Si le conseil militaire de transition s’est engagé à organiser des élections sous dix-huit mois, rares sont ceux qui, au Tchad, pensent que ce délai sera respecté. Celui qui fut l’un des principaux opposants du président Deby, Saleh Kebzabo, a choisi de composer avec le CNT après avoir condamné la mise en place d’un pouvoir dynastique. Deux membres de son parti, l’Union nationale pour la démocratie et le renouveau, sont même entrés dans le nouveau gouvernement, ce qui a provoqué des divisions en interne et des critiques sur son "double jeu".
L'occasion d'un renouveau
Pour Saleh Kebzabo, il faut accompagner la transition pour orienter le Tchad dans la bonne direction.
"L'expérience nous apprend que plus une transition est courte, meilleure elle est, et plus une transition est longue, plus des appétits voraces vont s'installer. Donc moi, je milite pour une transition courte et je pense que dix-huit mois est un bon terme. Après dix-huit mois, il faut qu'on passe à autre chose. Il faut un bon dialogue inclusif, que de ce dialogue se dessine toute l'architecture de ce qu'on doit faire, toutes les réformes qui vont être entreprises dans le but unique d'aller à de bonnes élections présidentielles pour que les Tchadiens, pour une fois, choisissent leur président véritablement issu des urnes."
La mort du président Déby est une opportunité pour le Tchad, il faut la saisir parce que l'élément de blocage de l'évolution démocratique du Tchad, c’était Déby. C'est un secret pour personne. On n'a jamais eu d'élections transparentes dans ce pays. C'est ça qui a fait le plus mal au Tchad.
L’Union africaine a envoyé une mission à N'Djamena pour décider de sanctionner ou non cette transition mise en place en dehors de toute légalité constitutionnelle. Mais au sein même de l’organisation multilatérale, certaines voix demanderaient de laisser un peu de temps aux nouvelles autorités tchadiennes avant d’appliquer des sanctions. L'Union devrait rendre sa décision dans les tous prochains jours.
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