Un verdict historique est attendu dans la matinée de ce mercredi 24 février en Allemagne. Pour la première fois, un tribunal va condamner des exactions commises par le régime de Bachar al-Assad, quasiment 10 ans jour pour jour après le début de la guerre en Syrie.
Cela se passe à 3 000 kilomètres de Damas, au confluent du Rhin et de la Moselle, à Coblence, après presque une année et 60 jours d’audience, la justice allemande, en vertu de la "compétence universelle", va rendre sa décision à l’encontre d’un ancien officier de l’appareil sécuritaire syrien, réfugié et arrêté en Allemagne il y a deux ans (février 2019).
Eyad al-Gharib, 44 ans, est un "second couteau" accusé d’au moins 30 cas de tortures et détention illégale de manifestants à Douma près de Damas à l’automne 2011 (dans les premiers mois de la guerre civile) encourt une peine entre 3 ans et 5 ans et demi de prison. Dans le box des accusés, à ses côtés, l’un de ses chefs, Anwar Raslan, colonel de l’armée, responsable d’un centre de détention de sinistre renommée contre qui la Cour devrait rendre un jugement séparé en fin d’année. Il est lui accusé de 4 000 cas de torture, 58 meurtres et 2 viols. Il encourt une peine de prison à perpétuité.
Et ce n’est que le début puisque d’autres criminels syriens seront jugés dans les mois à venir, déjà tous arrêtés sur le sol allemand et identifiés grâce à la mobilisation d’autres réfugiés syriens.
Ce premier procès au monde de la torture en Syrie doit beaucoup à un avocat syrien de 62 ans, Anwar al-Bunni, réfugié à Berlin depuis bientôt 7 ans, est devenu un infatigable enquêteur des crimes du régime. Il collecte les témoignages, identifie les responsables, rassemble les preuves et monte des dossiers judiciaires. Pour ce procès de Coblence, il a apporté 24 témoignages de victimes… en plus du sien.
Il en passe du temps sur son téléphone portable. Il reçoit des messages sans cesse, des signalements, des captures d’écran, des photos d’horreur… Ensuite, c’est beaucoup de travail, de recherche, de vérification. "Mais vous savez, dit Anwar al-Bunni, c’est ma vie !"
Les témoins se précipitent encore plus nombreux, selon lui, depuis la médiatisation de ce procès de Coblence.
Ce sont eux les héros, pas nous. Ce sont ces témoins, ces victimes qui confient leur histoire même si ça leur coûte, peu importe la douleur ou le risque de mettre en danger leurs familles en Syrie.
C’est donc depuis l’Allemagne que tous ces réfugiés peuvent mener le combat contre ce qu’al-Bunni appelle cette "machine diabolique" du régime syrien pour sa répression et sa torture systématique.
Pour la première fois, le peuple, les Syriens sentent que la justice est entre leurs mains, c’est ça le sens de ce procès, et on a fait déjà des pas très importants. On a déposé des dossiers un peu partout en Europe, en Suède, en Norvège, en Autriche, en France...
27 cas sont déjà constitués et entre les mains de différents tribunaux, 27 cas y compris contre Bachar al-Assad. Car cet activiste des droits de l'homme a bien pour objectif que le président syrien soit condamné et de préférence en Syrie par les Syriens.
Avec un grand sourire, il ajoute :
Ce qui se passe à Coblence change la donne pour tous les dictateurs du monde entier. Ils se pensaient confortables, en sécurité, on a l’immunité dans notre propre pays mais ça a changé ! Tous ces dictateurs là aujourd’hui, ils ont peur.
Anwar al-Bunni a œuvré avec toute la force du droit comme seule arme. "On est des avocats, c’est notre façon de combattre, la loi, les tribunaux… on utilise les moyens légaux !"
Il a aussi lui-même témoigné en tant que victime qui a même recroisé son bourreau trois fois à Berlin. Les deux hommes ont demandé l'asile à peu près au même moment, en 2014 et ont séjourné dans le même centre d'accueil pour réfugiés. Il est le second accusé de ce procès de Coblence, dont on ne connaîtra le jugement qu’en fin d’année ou début d’année prochaine. Un colonel qui porte le même prénom, Anwar. Ils ont quasiment le même âge. Anwar Raslan a mené des crimes à bien plus grande échelle. Il dirigeait la prison dans laquelle cet avocat syrien a passé 5 ans de 2006 à 2011. Il a connu dans sa chair et il a vu les sévices infligés aux détenus, ceux que l’on voit aussi, morts de faim, dans les plus de 50 000 photos horribles du dossier César du nom de ce transfuge de l’armée syrienne… mais qui ont permis à des familles d’identifier des proches et d’être plaignants au procès, réfugiée en Allemagne Yasmen Mashan représente l’association des familles César.
J’ai perdu la trace de cinq de mes frères, tous arrêtés en mars 2012 par le régime. J’ai reconnu l’un d’entre eux, mort, sur des photos qui ont fuité grâce à César en 2015. Jamais je n’aurais imaginé que le responsable se trouverait en Allemagne. Que je pouvais lui faire face à tout moment dans la rue ou dans un magasin en faisant mes courses. Récemment, la peur est revenue encore plus forte qu’avant, parce que le régime fait pression et menace de nombreux réfugiés dont la famille est piégée en Syrie, parce que la Syrie est devenue une grande prison pour tous les civils qui y sont présents.
La prochaine affaire - dans quelques mois - devant un tribunal allemand est déjà connue : un homme arrêté en juin à Wiesbaden, médecin dans une prison du renseignement militaire syrien qui devra répondre d’un meurtre et de 18 cas de tortures.
D’autres suivront, affirme l'avocat. Anwar al-Bunni révèle qu'un "gros poisson" du régime est, selon lui, sur le point d'être arrêté par les autorités allemandes.
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