

La ville martyre d’Italie, premier pays touché par le nouveau coronavirus en février dernier, se remet à peine du cataclysme qui l’a frappée. Si elle semble plus armée pour passer la deuxième vague, sa population veut surtout savoir pourquoi elle a été en première ligne.
A Bergame, on prend la température partout, même à l'entrée du cimetière en plein air. Sous la pluie, chaque visiteur doit approcher son visage du thermoscanner avant de pénétrer dans l’enceinte du cimetière.

Stefano Fusco a perdu son grand-père en mars dernier, il nous accompagne dans la partie réservée aux morts du Covid. Et il n'y en pas qu'une ! Pourtant, beaucoup sont morts le même jour. Stefano égraine les dates : "14 mars, 14 mars, 14 mars, c’est comme à la guerre" dit-il, "Ce sont des tombes construites dans la précipitation car il n’y avait pas d’espace et on ne s’attendait pas à une telle explosion ! Beaucoup n’ont pas eu droit à une sépulture digne…"

Comme vous pouvez le voir sur chaque tombe, il y a un numéro, ces personnes sont restés des numéros !
Stefano se souvient également de ce que lui a raconté un ami volontaire de l’armée lorsque même les cercueils venaient à manquer. "Ils n’avaient plus de cercueils alors au bout d’un moment, ils ont transporté les morts dans des sacs noirs", raconte Stefano. Son ami lui expliquait alors "ce n’est pas pareil de transporter un cercueil rigide et un sac avec un corps qui bouge et se plie…"

Une surmortalité frappante à Bergame
6 000 personnes au moins sont mortes lors de cette première vague dans la province, soit une augmentation de 600% par rapport à la même période l’année d’avant, selon Stefano Fusco. Un traumatisme qui l’a amené à fonder l’association " Noi denunceremo" (nous dénoncerons). A quelques mètres du cimetière, il nous présente l’avocate de l’association, Consuelo Locanti. Son cabinet se situe en face de la désormais célèbre avenue de Bergame.
Devant la porte là, il y a la route où sont passés les fameux camions de l’armée qui transportaient les corps de nos morts...
Ces images des convois militaires ont fait le tour du monde. Peu après, au mois de juin, le parquet de Bergame a ouvert une enquête tous azimuts et déjà entendu le président du Conseil, les ministres de l’Intérieur, de la Santé, le président de la région Lombardie, pour savoir si le pays était préparé à affronter cette pandémie. Les plaignants veulent comprendre pourquoi il n'y a pas eu de zone rouge dans la province de Bergame ? Pourquoi le système de santé a-t-il été dépassé ?

L’avocate Consuelo Locanti a mis la main sur deux documents décisifs selon elle, l’un du gouvernement, l’autre de l’OMS : "Ces documents démontrent que nous n’avions aucun plan et que nous avons même violé une décision du parlement européen qui imposait un plan dès 2013", selon l’avocate. "Ces documents sont des actes d’accusation contre le gouvernement et la région."
Si l’Italie avait eu un vrai plan contre la pandémie, nous aurions probablement épargné au moins 10 000 vies !
L’Italie a dû faire face à un manque de matériel et notamment d’appareils respiratoires. Le père de Consuelo Locanti est mort parce qu’on lui a retiré son masque à oxygène pour le donner à un patient plus jeune.
La riche Lombardie en manque de personnel médical
Le personnel soignant a lui aussi été dépassé par l’ampleur de la crise. Médecins, infirmières étaient en première ligne. Aujourd’hui, il n’y a plus d’urgence à Bergame. La deuxième vague est bien moins forte selon Guido Marinoni, le président de l’ordre des médecins de la province de Bergame qui tire de premières conséquences : "Avant tout, nous avons compris l’importance d’avoir un système de santé public. Désormais, nous avons besoin d’un plan de lutte contre les pandémies." Et Guido Marinoni égrène les mesures nécessaires aujourd’hui pour faire face à une telle pandémie : "Il faut tracer les cas, isoler les patients pour éviter de faire exploser l’épidémie dans les hôpitaux". Mais la tragédie qui émeut encore le président de l’ordre des médecins, c’est le prix qu’a payé le personnel soignant.
Les médecins ont été abandonnés sans protection individuelle ; ils se sont retrouvés devant le dilemme de ne pas pouvoir visiter leurs patients ou d’y aller sans être protégés, quitte à se rendre malades et à devenir contagieux. Sur 600 médecins de famille dans la province, 6 sont morts et 150 sont tombés malades !
Il ne suffit donc pas d’avoir les meilleurs hôpitaux comme c’est le cas en Lombardie. C’est bien le maillage territorial des soins de santé qu’il faut repenser. Paola Pedrini est médecin de famille, elle est aussi secrétaire régionale de la fédération des médecins généralistes et s’inquiète de la situation actuelle : "Nous avons besoin de bien plus de médecins de famille. Aujourd’hui, dans beaucoup de cabinets nous avons des médecins provisoires pour 6 à 12 mois maximum. Ils ne peuvent pas prendre en charge sérieusement et sur le long terme les patients."
Beaucoup de médecins ont plus de patients que le seuil maximal de 1 500, il peut y avoir 1 600 à 1 750 patients par médecin !
En Italie, on estime à 1 000 patients par médecin le nombre optimal. Mais il manque aussi cruellement d’infirmiers et de personnels administratifs.
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