En Grèce, austérité et abstention

  ©AFP - Aris Messinis
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En dix ans, la Grèce a perdu un quart de son PIB et 35% de sa population vit sous le seuil de pauvreté : 400 000 jeunes ont quitté le pays. Pour ces élections européennes, le taux d'abstention pourrait bien atteindre des records.

En plein chantier du métro et du tramway, le port du Pirée n'en est qu'au début de sa transformation. Vendu en 2016 sous la pression des créanciers, il est aujourd'hui sous contrôle du géant chinois Cosco. Accès privilégié au marché européen par lequel elle fait transiter ses marchandises - 5 millions de conteneurs par an -, la Chine veut désormais faire du Pirée le premier hub de croisière européen. Une étape importante sur son projet de Route de la soie. Alors qu'en avril dernier lors d'un sommet à Bruxelles, les dirigeants européens s'inquiétaient des investissements chinois en Europe : pour la Grèce il est déjà trop tard. Sur les quatre milliards d'euros d’investissements étrangers directs en Grèce, plus d'un quart sont chinois et aucun secteur d'activité n'échappe à l'Empire du milieu.

Le port du Pirée en plein boom économique
Le port du Pirée en plein boom économique
© Maxppp - Anax

La Grèce est l'amie de la Chine et pour en témoigner, le Premier Ministre Alexis Tsipras, a même posé son veto à Bruxelles, empêchant un communiqué commun des 28 dénonçant la violation des Droits de l'Homme. Avec une dette souveraine de 290 milliards d'euros, la Grèce ne peut pas se payer le luxe de tenir tête à la seconde économie mondiale. L'Union européenne serait d'ailleurs bien mal placée pour lui faire des leçons quand elle même la contraint à accélérer le programme de privatisation, programme dans lequel la Chine reste le premier investisseur.      

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Dimitri Korkidis, président de la Chambre de Commerce et d'Industrie du Pirée
Dimitri Korkidis, président de la Chambre de Commerce et d'Industrie du Pirée
© Radio France - Annabelle Grelier

Dimitri Korkidis, président de la chambre de commerce et d'industrie du Pirée, reconnaît que le principal port du pays n'a jamais vu un tel développement et qu'il pourrait devenir dans quelques années, grâce aux Chinois, le premier port européen. Pourtant, ce développement ne profite aujourd'hui que très peu aux entreprises grecques.   

C'est quand même un projet de 600 millions d'euros, on ne pas pas tourner le dos à ce genre d'investissements. Vous savez que l'économie grecque est dans un sale état, nous avons besoin de cet argent. On a besoin d'hôtels de luxe, d'un centre conférence sans doute aussi, de l'extension de l'embarcadère bien sûr... Mais le problème est qu'ils ne travaillent pas avec les entreprises locales. On s'en est plaint très souvent auprès des autorités. Leur stratégie est de monter des filiales chinoises toutes liées à Cosco. Ce que nous voulons, c'est participer à ce développement et en partager les profits, et que ce ne soit pas seulement pour Cosco.    
Dimitri Korkidis, président de la chambre de commerce et d'industrie du Pirée.

Le projet, qui comprend des gratte-ciels et un grand centre commercial, n'est pas du goût des archéologues grecs qui ne semblent pas prêts à laisser les Chinois transformer le port du Pirée en un Las Vegas de la Méditerranée. Le Kas, le service d’archéologie grec rattaché au ministère de la Culture qui dispose d'un avis consultatif, a approuvé dans son ensemble ces investissements mais y a posé certaines conditions, allant des limitations du nombre d'étages pour les hôtels qui seront bâtis à l'interdiction de construction du centre commercial. Les archéologues invoquent la protection des monuments de la période classique de l'Antiquité situés dans cette zone, dont l'ancien mur du Pirée ou la tombe du politicien athénien Thémistoclès. "Encore une pirouette du gouvernement Tsipras !", s'insurge Maria Spiraki, eurodéputée de droite en campagne pour les élections européennes sur la liste Nouvelle Démocratie 

Maria Spiraki eurodéputée sur la liste de droite Nouvelle Démocratie
Maria Spiraki eurodéputée sur la liste de droite Nouvelle Démocratie
© Radio France - Annabelle Grelier

Je pense qu'ils font beaucoup de bruit, qu'ils brassent beaucoup de vent et qu'ils passent beaucoup de temps à adapter la législation mais le problème, c'est le manque de mise en œuvre et le manque de volonté politique. Ils font ça parce qu'ils ont besoin de faire des annonces avant les élections. Nous n'avons pas eu d’élections depuis septembre 2015, c'est pourquoi nous demandons aux électeurs dimanche de se prononcer pour ou contre ce gouvernement.    
Maria Spiraki, eurodéputée de droite sur la liste Nouvelle Démocratie.

Le programme de privatisation en effet n'est pas porteur pour un gouvernement de gauche. Pourtant le gouvernement Tsipras aura été celui qui en a réalisé le plus, environ une trentaine sur les 40 exigées par la Troika mais toutes sont freinées ou bloquées par la bureaucratie en cette année électorale. Mais à quelques semaines du scrutin, Alexis Tsipras vient d'annoncer quelques mesures sociales, comme le retour du 13e mois pour les petits retraités, la baisse de la TVA sur les produits alimentaires de 24 à 13% et la possibilité offerte aux ménages endettés de rembourser en "120 versements" leur dû autorités fiscales et sociales. Ayant réalisé un excédent primaire qui dépasse les engagements du pays vis-à-vis de ses créanciers (UE et FMI), soit plus de 3,5% du PIB en 2018, le gouvernement a fait voter au Parlement la semaine dernière ces mesures provenant d'une cagnotte fiscale de 1,14 milliard d'euros. Le principal parti d'opposition Nouvelle Démocratie crie au populisme et appelle les électeurs à transformer ces élections européennes en vote sanction contre le gouvernement.

Attaqué à sa droite, Alexis Tsipras l'est encore plus violemment par sa gauche. "L'homme qui assurait qu'il déchirerait les mémorandums de l'austérité, qu'il s'opposerait aux créanciers, a trahi son camps et le peuple grec qui avait voté pour lui", estime le parti dissident Unité Populaire fondé par ses anciens compagnons de route et ministres dans le premier gouvernement Syriza, comme Dimitris Stratoulis ancien ministre de la Sécurité Sociale. Comme tous les mercredis, il participe aux manifestations organisées devant les offices de notaires qui pratiquent les ventes aux enchères des maisons de ceux qui ne peuvent plus payer leur crédit. 

Manifestation comme tous les mercredis devant les offices de notaires qui pratiquent les ventes aux enchères sur internet.
Manifestation comme tous les mercredis devant les offices de notaires qui pratiquent les ventes aux enchères sur internet.
© Radio France - Annabelle Grelier

Nous continuons notre lutte pour protéger les biens des familles endettées et protéger les plus démunis. Le gouvernement Tsipras s'inscrit dans les pratiques des politiques néolibérales, il a abandonné tout son programme pour lequel il avait été élu. Il a capitulé devant les créanciers, il a trahi les valeurs de gauche !"

La loi Katseli est un autre symbole de la pression de la Troïka exercée sur la Grèce. Depuis 2010, cette loi protégeait la résidence principale en interdisant l'expropriation des personnes endettées qui ne pouvaient plus rembourser leur prêt. Pour nettoyer les banques de leurs actifs pourris, le gouvernement a dû céder et modifier la loi pour accélérer les ventes. Entre 2019 et 2021, pas moins de 120 000 biens devront partir aux enchères. Comment croire en l'avenir dans un tel marasme ? Est-ce vraiment la fin de l'austérité comme le vante depuis le mois d’août dernier Alexis Tsipras ? Beaucoup de Grecs en doutent comme Stavros Agianou. Patron d'une PME dans la banlieue d'Athènes, il a repris l'affaire familiale il y a 10 ans. Fournisseur de cuir pour les fabricants de chaussures, son entreprise est passée de 15 à 3 salariés. Étouffé par les impôts et les charges sociales et sans accès aux prêts bancaires, il s'étonne presque d'être encore là

On est encore vivant. La plupart de nos concurrents ont fait faillite comme la plupart de nos clients.  Aujourd'hui, ça va un petit mieux grâce au tourisme. Il n'y a que le tourisme qui marche en Grèce.  
Stavros Agianou, patron d'une PME.

Street Art dans le quartier d'Exarchia à Athènes.
Street Art dans le quartier d'Exarchia à Athènes.
© Radio France - Annabelle Grelier

Sans surprise, c'est en Grèce que le sentiment de citoyenneté européenne reste le plus faible en Europe, selon un rapport de la Commission. Le taux d'abstention pourrait atteindre des records. 2019 sera pourtant l'année de toutes les élections : les européennes, les municipales et les régionales. Le scrutin sera triple dimanche 26 mai.  

Désormais baptisé "Syriza Alliance progressiste", le parti d'Alexis Tsipras a fait sa campagne sur les forces progressistes contre l'extrême-droite et s'appuie désormais sur une alliance centre gauche mais il est donné perdant dans les sondages. Ces élections européennes font figure de test avant les élections législatives en septembre.

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