Entre l'Arménie et le Haut-Karabagh : les derniers Arméniens de Latchin

Les Arméniens de Latchin incendient leurs demeures et propriétés avant la restitution du district à l'administration d'Azerbaïdjan
Les Arméniens de Latchin incendient leurs demeures et propriétés avant la restitution du district à l'administration d'Azerbaïdjan ©Radio France - Eric Biegala
Les Arméniens de Latchin incendient leurs demeures et propriétés avant la restitution du district à l'administration d'Azerbaïdjan ©Radio France - Eric Biegala
Les Arméniens de Latchin incendient leurs demeures et propriétés avant la restitution du district à l'administration d'Azerbaïdjan ©Radio France - Eric Biegala
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Au terme des accords de cessez-le-feu, l'Arménie doit restituer trois districts pris à l'Azerbaïdjan lors de la précédente guerre dans les années 90. Le plus stratégique est celui de Latchin. Il permet une continuité entre l'Arménie et le Haut-Karabagh.

Latchin c'est - ou plutôt c'était - 2 500 habitants dans le bourg de part et d'autre de la route et 9 000 autres Arméniens dispersés dans les montagnes du district, alentour. C'était le dernier district à devoir être rétrocédé aux termes des accords de cessez-le-feu du 9 novembre. Un district stratégique qui permet une continuité territoriale arménienne entre l'Arménie et le Haut-Karabagh, mais qui était peuplé à l'origine d'une majorité azérie. Des Azéris chassés de chez eux durant la guerre de 1992-94, réfugiés en Azerbaïdjan et qui seraient sur le point de revenir. Conséquence de quoi, ce sera sans doute aujourd'hui aux Arméniens de Latchin de faire leurs valises.

Davit Mardirosia est de ceux-là ; il est en train de vider son petit immeuble, cassant les vitres au passage "Il y avait là un magasin qui vendait des matériaux de construction, un autre de prêt-à-porter et une pharmacie, explique-t-il ; je récupère tout ce que je peux et après je mets le feu. J'ai construit ça de zéro ! de mes propres mains. J'ai commencé il y a vingt ans et l'étage je venais juste de le terminer... 26 ans de travail !" Et s'il entend y mettre le feu c'est bien "pour qu'il ne reste rien aux Turcs !" 

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Nombreux parmi les 2500 Arméniens de Latchin  sont ceux qui ont détruit leurs maisons avant de quitter le bourg qui doit être rétrocédé à l'Azerbaïdjan.
Nombreux parmi les 2500 Arméniens de Latchin sont ceux qui ont détruit leurs maisons avant de quitter le bourg qui doit être rétrocédé à l'Azerbaïdjan.
© Radio France - Eric Biegala

Les Azéris, que les Arméniens assimilent à des Turcs, reprennent en effet formellement le contrôle du district depuis mardi 1er décembre. Une première escouade militaire a traversé le bourg avant-hier et le drapeau azerbaidjanais y a été déployé, essentiellement "pour la photo" semble-t-il. Entre-temps, Davit avait mis sa promesse à exécution, incendiant son bâtiment. Dans la soirée de lundi une douzaine d'autres incendies détruisaient pareillement les maisons de Latchin à flanc de colline.

Mais les Arméniens ne sont pas encore tous partis. Levon par exemple jure qu'il restera sur place : "C'est ma maison ; ça fait 22 ans que j'y suis... Ils nous disent de partir, mais moi je pars pas ! J'ai préparé cette chambre pour pouvoir rester ici, seul. !" S'il entend rester à Latchin, Levon ferait tout de même mieux de nettoyer l'énorme graffiti qu'il a peint sur sa voiture, parfaitement intelligible par tout le monde : "fuck Turcs" y est-il écrit en très gros et à la peinture rouge ! 

Levon ne craint pas d'afficher sa détestation de l'ennemi turc alors même que les Azéris sont sur le point de récupérer la ville
Levon ne craint pas d'afficher sa détestation de l'ennemi turc alors même que les Azéris sont sur le point de récupérer la ville
© Radio France - Eric Biegala

Le Maazbet, sorte de gouverneur arménien du district, Mushegh Alaverdyian espère aussi pouvoir rester à Latchin : "Pour ce qui est de mes fonctions, je ne sais pas ce qui va se passer, je n'ai pas d'information. Mais, de toutes façons, moi je reste ici ça fait 26 ans que j'y habite et je ne me vois pas habiter ailleurs".

S'il entend pouvoir rester c'est aussi parce que Latchin demeurera un nœud stratégique : "Nous n'avons pas beaucoup d'alternative, explique-t-il encore. "Nous avions deux routes (pour aller au Karabagh), celle de Karvadjar n'est plus accessible... il nous faut bien une route !  Et selon l'accord qui a été signé et accepté par tous, ce sont des "forces de paix" russes qui doivent être positionnées ici sur cet axe "humanitaire".

"Seuls les Russes devraient être présents à Latchin au terme des accords de cessez-le-feu" selon Mushegh Alaverdyian , le "gouverneur arménien du district de Latchin.
"Seuls les Russes devraient être présents à Latchin au terme des accords de cessez-le-feu" selon Mushegh Alaverdyian , le "gouverneur arménien du district de Latchin.
© Radio France - Eric Biegala

Le seul petit espoir des Arméniens de Latchin, ce sont les Russes en effet. Leurs troupes sont arrivées dans la bourgade en début de semaine, elles campent sur le rond-point central et doivent en fait sécuriser la route de Latchin ; un "corridor" qui doit permettre aux Arméniens du Haut-Karrabagh de rejoindre l'Arménie et vice versa.

Valentina qui tient un minuscule bistro sur le rond-point central, au bord de la route, se prend d'ailleurs à rêver que les Azéris ne viendront pas jusque chez elle : "les Russes disent que les Turcs ne viendront pas ; que ce sera seulement des soldats russes ici... Moi par exemple, avec grande joie je resterai ici avec les Russes". Avec les Azéris en revanche, Valentina ne veut pas en entendre parler : "Impossible ! dit-elle, "Comment pourrait on vivre  avec ces gens ?"

L'armée russe assure une présence symbolique sur le principal rond-point de la route de Latchin, devenue "corridor humanitaire" entre l'Arménie et le Haut-Karrabagh.
L'armée russe assure une présence symbolique sur le principal rond-point de la route de Latchin, devenue "corridor humanitaire" entre l'Arménie et le Haut-Karrabagh.
© Radio France - Eric Biegala

Reste que les accords de cessez-le-feu ne parlent que d'une présence russe pour sécuriser la route de Latchin, certainement pas la bourgade et ses habitants. Selon le président azerbaïdjanais Ilhan Aliev, 50 000 Azéris habitaient le district de Latchin avant 1994 et en ont été chassés par les Arméniens. Ils devraient y revenir a-t-il promis "dans un avenir proche", poussant à leur tour en exil la quasi totalité des 11 000 Arméniens de la région.

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