Européennes : des détenus votent en prison en France pour la première fois

Un isoloir a été installé dans la salle de culte qui fait office de bureau de vote.
Un isoloir a été installé dans la salle de culte qui fait office de bureau de vote. ©Radio France - Rosalie Lafarge
Un isoloir a été installé dans la salle de culte qui fait office de bureau de vote. ©Radio France - Rosalie Lafarge
Un isoloir a été installé dans la salle de culte qui fait office de bureau de vote. ©Radio France - Rosalie Lafarge
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C'est une première ! Des détenus votent dans leur prison pour les élections européennes. Un vote par correspondance permis par une loi et un décret de mars dernier, pour des détenus inscrits sur une liste électorale et qui ne sont pas privés de leurs droits civiques. Reportage à Bourg-en-Bresse.

"Voter c'est votre droit, la citoyenneté ne s'arrête pas aux murs de la prison" : la garde des Sceaux Nicole Belloubet avait annoncé en mars dernier, lors d'une visite de la maison d'arrêt de Luynes (Bouches-du-Rhône) que les détenus pourraient dorénavant voter en prison. "Il y a très peu de détenus en France qui sont privés de leur droit de vote - 500 environ sur 70 000 - et pourtant, à l'élection présidentielle, il n'y a eu que 1 000 votants", avait alors déploré la ministre de la Justice.  

En France, les détenus pouvaient jusqu'à présent voter par procuration, ou en obtenant une permission pour sortir le jour du scrutin. La loi de la réforme de la justice et son décret d'application du 24 mars prévoient, en plus de ces deux modalités, l'organisation d'un vote dans les prisons : il s'agit d'un vote par correspondance, testé pour la première fois pour les élections européennes du 26 mai. 

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Le centre pénitentiaire de Bourg-en-Bresse accueille près de 700 détenus
Le centre pénitentiaire de Bourg-en-Bresse accueille près de 700 détenus
© Radio France - Rosalie Lafarge

Un bureau de vote éphémère dans la prison de Bourg-en-Bresse

Sur les quelque 700 personnes détenues au centre pénitentiaire de Bourg-en-Bresse, seul établissement pénitentiaire de l'Ain (qui compte un quartier maison d'arrêt et un quartier centre de détention), ils sont 64 à avoir demandé de voter par correspondance pour ce scrutin. Après vérifications, 39 détenus ont été admis à voter dans l'enceinte de la prison. Ils ont été invités à se présenter ce lundi en fin d'après-midi (pour éviter la concurrence avec les autres activités de la journée) au "bureau de vote" installé pour l'occasion dans la salle de culte de la prison.  

Les professions de foi sont affichées dans ce qui fait office de hall d'accueil. Les bulletins de vote envoyés par les différentes listes sont disposés sur plusieurs tables dans le "bureau de vote", le règlement est placardé sur un mur devant et dans la salle, ainsi que dans l'isoloir installé près du mur du fond. Un surveillant se charge de faire amener les détenus, puis de les faire entrer un par un. Ils se présentent alors devant Grégory Desarmagnac, directeur adjoint du centre pénitentiaire de Bourg-en-Bresse, et sa stagiaire. 

Les professions de foi sont affichées à l'entrée du "bureau de vote".
Les professions de foi sont affichées à l'entrée du "bureau de vote".
© Radio France - Rosalie Lafarge

Chacun se voit rappeler les règles : prendre au moins deux bulletins, l'enveloppe bleue dans laquelle il faut glisser le bulletin et l'enveloppe blanche dans laquelle il faut ensuite glisser l'enveloppe bleue. Après un tour dans l'isoloir, le détenu revient devant les assesseurs du jour et remplit l'enveloppe blanche : nom, prénom, lieu de détention et numéro d'écrou. Il doit également vérifier ses informations personnelles inscrites sur une attestation, elle aussi glissée dans l'enveloppe blanche. Le tout est placé dans une plus grande enveloppe qui fait office d'urne. 

"Toutes les enveloppes de toutes les prisons seront envoyées à la Chancellerie qui sera l'unique centre de dépouillement", avait précisé Mme Belloubet dès le mois de mars. Le secret du vote sera préservé, les éléments d'identité ne servant que pour des vérifications préalables au dépouillement. 

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Un moment particulier pour les détenus

Ce jour de vote est en tout cas un moment particulier pour les détenus qui se sont déplacés. A 19 ans, Robin vote pour la première fois. "C'est mon devoir de citoyen français, c'est bien de l'avoir fait je pense", confie le jeune homme. "Le plus important est de rentrer dans l'isoloir. On se dit qu'on a voté et qu'on a fait notre devoir", renchérit Abderhamane, de quatorze ans son aîné. Un peu moins enthousiaste, Mickaël, 37 ans, marmonne : "C'est un droit qu'on a donc autant en profiter. Je ne sais pas si cela changera grand chose, mais au moins on contribue, c'est toujours ça de pris"

Le bulletin de vote est glissé dans une enveloppe bleue, elle-même glissée dans une enveloppe blanche avant d'être placée dans l'enveloppe qui fait office d'urne.
Le bulletin de vote est glissé dans une enveloppe bleue, elle-même glissée dans une enveloppe blanche avant d'être placée dans l'enveloppe qui fait office d'urne.
© Radio France - Rosalie Lafarge

Mais d'autres n'auraient raté ce scrutin pour rien au monde. A 42 ans, Sébastien n'a jamais manqué un vote. En détention depuis plusieurs années, il faisait jusqu'ici des procurations et reconnaît que "c'est pas mal de ne pas être obligé d'envoyer quelqu'un voter à (sa) place, au moins je suis sûr que je mets le bon bulletin__". Il promet de suivre les résultats dès 20h dimanche, à la télévision. 

Lucien non plus ne se voyait pas faire l'impasse sur ce vote. "Les européennes, c'est quand même l'avenir de nos enfants et de tous ceux qui viennent derrière. L'Europe doit se faire ou ne pas se faire, mais on doit participer à la faire valoir ou non cette Europe. Elle a besoin de nous tous, alors même si on est en prison, on doit voter", souligne l'homme de 68 ans.  

Bulletins, enveloppes, émargement... tout est presque comme dans un bureau de vote classique.
Bulletins, enveloppes, émargement... tout est presque comme dans un bureau de vote classique.
© Radio France - Rosalie Lafarge

Et plusieurs détenus reconnaissent que cet acte citoyen a de l'importance. Pour Brice, 36 ans, "cela permet de se sentir quand même un peu responsable de ce qui se passe dehors". Patrice lui, considère que la journée de vote est de toute façon importante "quel que soit le lieu où on se trouve". Ce sexagénaire se dit "heureux" de pouvoir le faire en prison. 

Cela permet de garder ce caractère d'être humain - Lionel, détenu de 48 ans

Lionel non plus ne nie pas le caractère important du geste : "Cela permet de donner son choix pour la société, mais aussi de garder ce caractère d'humain. Quand on est en détention, on est quand même un peu mis à l'écart et voter permet de participer à la vie citoyenne, même si on est enfermé. J'ai des enfants, une famille et un jour je serai dehors. Il est donc important de participer à cela et de voir comment peut évoluer l'Europe" insiste l'homme de 48 ans. 

"Voter, cela permet de garder un caractère humain" pour Lionel, détenu à Bourg-en-Bresse

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La Grande table idées
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Des mois de préparation

Le vote en prison ne s'est pas fait en un jour. Depuis des mois l'Administration pénitentiaire planche sur ce dispositif. "Nous avons eu des réunions d'accompagnement et de pilotage supervisées par l'Administration centrale pour nous accompagner dans la préparation de ces opérations", précise Grégory Desarmagnac. 

Grégory Desarmagnac, directeur adjoint du centre pénitentiaire de Bourg-en-Bresse en plein préparatifs.
Grégory Desarmagnac, directeur adjoint du centre pénitentiaire de Bourg-en-Bresse en plein préparatifs.
© Radio France - Rosalie Lafarge

Il le reconnaît sans problème, au départ, le directeur adjoint du centre pénitentiaire de Bourg-en-Bresse n'était pas tout à fait convaincu par le dispositif. Mais compte-tenu des chiffres (39 détenus admis à voter, 30 votants à l'issue du vote) il l'assure, "force est de constater que cela a mobilisé l'attention des détenus, et c'est encourageant pour la suite si cela devait se reproduire__". 

En détention, on est habitué à des taux de participation aux élections pas forcément très élevés donc on s'est demandé comment la population pénale allait réagir à cette nouvelle possibilité.                                  
Grégory Desarmagnac, directeur adjoint du centre pénitentiaire de Bourg-en-Bresse

"Pour une première les chiffres de participation sont encourageants" selon Grégory Desarmagnac, directeur adjoint de la prison

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Pour cette première, Grégory Desarmagnac explique avoir essayé d'aménager des conditions de vote "les plus sereines et les plus apaisées possibles". S'appuyant sur la loi pénitentiaire de 2009, il rappelle qu'il est essentiel de "replacer la personne détenue au sein de la société, bien qu'elle en soit écartée pendant un temps, et de conserver sa place en tant que citoyen. Or, quel est le premier geste citoyen qui nous est accordé à tous, y compris aux personnes détenues ? C'est le droit de vote. Notre souhait a donc été de reproduire au plus près les conditions du vote que la personne détenue pourrait trouver à l'extérieur__. Peut-être même de manière à susciter par la suite une mobilisation quand la personne sera retournée à l'état de liberté. Cela participe à l'éducation citoyenne"

"Nous avons essayé de reproduire les conditions les plus proches du vrai vote" explique Grégory Desarmagnac, directeur adjoint de la prison

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Un isoloir a été installé pour le moment du vote
Un isoloir a été installé pour le moment du vote
© Radio France - Rosalie Lafarge

Des ateliers de sensibilisation aux enjeux européens

Mais mettre en place une nouvelle modalité de vote n'aurait pas eu vraiment de sens si elle n'avait été accompagnée d'opérations de sensibilisation reconnaît Caroline Zamboni. Directrice adjointe du service pénitentiaire d’insertion et de probation de l’Ain, elle met en avant deux actions en particulier. 

"Depuis 2017, la radio locale Radio B anime des ateliers de radio sur l'établissement, explique-t-elle. Un atelier a été mis en place sur la thématique de l'Union européenne. Cinq personnes détenues ont travaillé avec l'animatrice de la radio et ont créé une émission : elles se sont renseignées, ont trouvé les informations, ont fait l'émission et ont même sollicité leurs codétenus à travers un "micro-coursive" qui pourrait être l'équivalent du micro-trottoir. L'émission a été diffusée, et cela a permis de sensibiliser également ceux qui n'ont pas participé à l'atelier ou qui n'avaient pas voulu répondre aux questions. Un autre groupe de cinq détenus s'est réuni pour travailler sur les institutions et les lois européennes".

La détention est une période. A un moment donné, toute personne est amenée à sortir et à reprendre une vie de citoyen à l’extérieur et il ne faut pas que cela s’arrête pendant la période de détention.                                  
Caroline Zamboni, directrice adjointe du SPIP de l'Ain

"Tout ce travail de sensibilisation avec des professionnels et des personnes qui connaissent le sujet a pu apporter des réponses claires et simplifier le langage européen, qui peut être parfois compliqué à comprendre", souligne encore Caroline Zamboni. Très satisfaite des chiffres de la participation à Bourg-en-Bresse, la jeune femme se félicite également du "gros travail" fourni et de "la curiosité" suscitée par l'ensemble du dispositif. Cela a eu, dit-elle, une répercussion sur toutes les personnes qui n'ont pas participé aux ateliers et qui s'y sont intéressé grâce à cela, qui ont même, pour certaines demandé à pouvoir voter.  

Des spécialistes de l'Europe appelés à la rescousse

Adil Dhimene, responsable de l'enseignement au centre pénitentiaire de Bourg-en-Bresse, a lui aussi participé à ces opérations de sensibilisation aux questions européennes. "J'ai fait venir une enseignante agrégée d'histoire-géographie. Elle est intervenue trois fois devant une dizaine de personnes pour leur expliquer les tenants et les aboutissants de l'Europe" raconte-t-il. Et il le fallait car, "la constitution européenne et tout ce qui en découle, c’est très méconnu à l'intérieur comme à l'extérieur de la prison" selon lui. 

Pour ses interventions, l'enseignante s'est notamment appuyée sur la photo d'Aylan, ce petit Syrien de trois ans échoué sur une place de la mer Égée en Turquie. "Elle est partie de là pour montrer aux détenus que la question migratoire se joue notamment au niveau européen et cette image choc a fait comprendre aux personnes que l'enjeu européen dépassait les seules normes pompeuses qu'on peut avoir au niveau de l'agroalimentaire par exemple" précise Adil Dhimene, qui ajoute que selon sa collègue,  cela a porté ses fruits. 

"Ce n'est clairement pas facile de faire comprendre l'Europe" - Adil Dhimene

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Plus de 5 000 détenus admis à voter en France

Romain Peray, sous-directeur des missions à la direction de l'Administration pénitentiaire se montrait très satisfait à quelques jours de la tenue du scrutin. "Plus de 5 000 personnes ont été admises à voter, ce qui est très significatif par rapport aux données disponibles jusqu'à présent". 

Il se félicite également du mouvement induit par cette nouvelle possibilité : "au-delà de la procédure de vote, très formelle, la participation des personnes détenues s'est traduite par des débats autour de la citoyenneté, de l'Europe et des élections. Cela a donné lieu à des mobilisations très concrètes comme l'élaboration de journaux internes ou d'éditions spéciales faites par des détenus autour des européennes et de la citoyenneté plus largement". 

Ce dispositif, envisagé pour ces européennes, n'est pas forcément applicable à tous les scrutins. "Il faut maintenant que nous réfléchissions aux prochaines échéances car chaque scrutin a ses particularités", reconnaît Romain Peray. Le sous-directeur des missions à la direction de l'Administration pénitentiaire évoque notamment la piste du vote électronique : "nous allons être amenés à travailler sur cette option et à en envisager la faisabilité juridique et organisationnelle"