Depuis août dernier, des milliers de migrants tentent de rejoindre l'Europe via des visas biélorusses octroyés par le dictateur Alexandre Loukachenko. Mais une fois arrivés à la frontière polonaise, ils sont victimes de refoulements illégaux et condamnés à l'errance.
Depuis le 2 septembre, c’est l’état d’urgence à Hajnowka, dans l’est de la Pologne. Nous sommes à quelques kilomètres seulement de la frontière biélorusse, et nous nous faisons contrôler partout.
Devant l'hôpital de la ville, nous rencontrons Mohamed, un jeune Syrien de 14 ans. Il vient d’arriver en Pologne après plusieurs jours d’errance :
"Pendant dix jours, on n’a pas trouvé à manger, les gens mouraient de faim, et de froid"
On était dans les bois, et on est arrivés à la frontière. Les gardes biélorusses nous ont poussé du côté polonais. Ensuite, on a marché dans les marais pendant une heure et demi. Il était 6h du matin et je suis tombé dans l’eau, c’était tellement froid. Pendant dix jours, on n’a pas trouvé à manger, les gens mouraient de faim, et de froid.
Mohamed a voyagé avec son père, en toute légalité, jusqu'à Minsk, puis jusqu'à la frontière polonaise. Mais c'est dans une zone forestière de trois kilomètres de large, une zone de non-droit établie tout au long de la frontière par le gouvernement polonais, que, comme des centaines d’autres personnes, Mohamed s’est retrouvé bloqué :
Je me suis retrouvé seul pendant 12 heures. Quand on est arrivés, on a essayé de prendre un taxi, mais quelqu’un a appelé la police et ils ont attrapé trois autres personnes, dont mon père**.** On était avec une femme de 65 ans et son fils de 40 ans, ils ont été refoulés tous les deux.
"Les autorités manquent à leur devoir fondamental d’assistance aux mineurs non accompagnés arrivant en Pologne"
Marta Górczyńska, avocate des droits de l’homme au sein d’un collectif de soutien aux demandeurs d’asile, représente Mohamed et explique :
Ce genre de cas nous montre que ce qui est en train de se passer, c’est qu’il y a peut-être beaucoup de mineurs non accompagnés en forêt, sans soin, et, qui sait, peut-être sont-ils victimes de trafic d’êtres humains ? Car personne ne vérifie que ces enfants voyagent avec leurs parents ou avec quelqu’un d’autre. Nous n’avons aucun moyen de vérifier cela. Ce devrait être le travail des douaniers mais ce n’est pas fait car au lieu de cela ils sont juste collectivement refoulés en Biélorussie.
Pour Marta Gorczynska, les autorités manquent à leur devoir fondamental d’assistance aux mineurs non accompagnés arrivant en Pologne :
Malheureusement, on a de plus en plus de cas de mineurs non accompagnés. Ils sont trouvés et emmenés par les douaniers, et on ne sait pas ce qui leur arrive ensuite. On a des cas de familles séparées, avec certains membres amenés à l’hôpital, d’autres ailleurs, au poste de douane ou en forêt, on ne sait pas. Le problème, c’est que comme les douaniers ne les enregistrent pas correctement et ne prennent pas en compte leur demande d’asile, personne ne sait ce qui se passe dans cette forêt.
Comme ceux qui ont hébergé Mohamed pour la nuit, d’autres habitants de la région se mobilisent pour tenter de venir en aide aux demandeurs d’asile. Jakub Sypiański est doctorant en histoire à Paris. De retour en Pologne, il a mis ses recherches entre parenthèses pour soutenir un groupe de bénévoles à la frontière.
C’est l’armée polonaise qui renvoie, refoule les mêmes personnes vers la Biélorussie, en les obligeant à passer d’un côté à l’autre de la frontière plusieurs fois. On a rencontré des personnes qui ont été refoulées de cette façon plus de dix fois. Ils appellent ces pratiques un jeu de tennis entre les deux régimes.
Les victimes de ce jeu cruel sont les centaines de personnes prises au piège, en ce moment-même, dans cette zone de non-droit où, sous des températures devenues glaciales, ils risquent de mourir de faim, de soif ou encore de froid, loin des regards de la communauté internationale.
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