Il y a dix ans, un séisme au large du Japon et un tsunami dévastaient la côte nord-est de l’archipel. L’accident nucléaire provoqué par le raz-de-marée a forcé plus de 160 000 personnes à quitter les environs. La volonté du gouvernement de faire revenir les habitants se heurte à une réalité complexe
Plus de 18 500 personnes ont péri dans la catastrophe et plus de 3 000 autres sont décédées dans les semaines et mois suivants, victimes d’une dégradation de leurs conditions de vie. Dix ans après, la volonté du gouvernement de faire revenir les habitants de 13 localités évacuées sur ordre se heurte à une réalité complexe.
Reportage à Fukushima de Karyn Nishimura.
"Personne ne vient en train ici"
Dans le département de Fukushima, la ville de Futaba a une particularité : 0 habitant. Abandonnées à la hâte, les bâtisses saccagées par le séisme se sont encore plus dégradées au fil du temps. La gare est flambant neuve, tout comme un gigantesque centre d’exposition mémoriel, insolemment dressé devant l’océan Pacifique.
Le jour, des ouvriers travaillent, comme Koichi Kono, qui fait le guet depuis six mois devant l'entrée d'un dépôt de déchets radioactifs :
Je suis debout toute la journée, personne ne me parle, vous êtes en gros la première. De toute façon, personne ne vient en train ici.
La nuit, Futaba est une ville fantôme. Les autorités veulent pourtant y faire revenir des habitants dès l’an prochain, même si la centrale Fukushima Daiichi est à moins de 4 km de la gare. Shin Watanabe est un employé municipal de Futaba :
Il y avait 7 000 habitants à Futaba avant, mais seulement 10% disent vouloir revenir et 60% ne l’envisagent pas. Notre but est d’attirer environ 2 000 personnes en cinq ans.
"Ce sont surtout des personnes âgées qui reviennent, parce que ce sont leurs terres natales"
Avant Futaba, 12 autres cités, en tout ou partie évacuées et rouvertes, ont expérimenté les mêmes difficultés. C’est le cas à Minamisoma, dans le quartier d’Odaka, qui n’a recouvré qu’un tiers de ses habitants depuis sa réouverture il y a quatre ans, selon un responsable de la reconstruction :
Ce sont surtout des personnes âgées qui reviennent, parce que ce sont leurs terres natales et elles n’ont pas pu se faire à une vie nouvelle ailleurs.
Pourtant, le gouvernement lève une à une les restrictions d’habitat, en affirmant contre l’évidence qu’il s’agit d’une demande des familles. Katsei Hirasawa, le ministre de la Reconstruction :
Il y a beaucoup de personnes qui disent 'Je veux revenir, je veux vivre ici avec ma famille, c’est pour cela que nous allons vite.
Les autorités construisent à tour de bras, au risque de chagriner les anciens qui ont un peu de mal à reconnaître leur ville. Noriyoshi Kudo, sexagénaire revenu à Tomioka : "Ici, ce ne sont que des maisons neuves". En dix ans, beaucoup de familles ont refait leur vie ailleurs. "Les familles jeunes ont plus de chance d’avoir du travail et de gagner leur vie en restant où ils sont."
Les familles qui sont rentrées se trouvent dans des zones plus éloignées de la centrale. C’est le cas du chirurgien-obstétricien Hiroshi Anbe, revenu avec sa famille à Minamisoma, mais parce que sa maison est située à un peu plus de 20 kilomètres du complexe nucléaire :
C’est parce que j’ai jugé que l’endroit était sûr, sinon, plus près du site je n’aurais pas pu rentrer, avec les enfants.
Une structure sociale déséquilibrée, avec un surcroît d’hommes
Au mieux, le père, seul, revient habiter la semaine; comme le constate l’essayiste Hiromichi Ugaya, qui sillonne la région depuis dix ans :
Quand on discute avec les vieux qui sont revenus, ils disent tous : 'Même si on a un cancer, à notre âge, ce n’est pas bien grave'. Mais on ne fait pas revenir de jeunes enfants pour qui les risques sont plus élevés, et donc leurs parents ne reviennent pas non plus. Il y a beaucoup de cas où seul le père vit dans la zone contaminée et les enfants sont réfugiés avec la mère, ailleurs.
La structure sociale est déséquilibrée, avec un surcroît d’hommes. Les emplois, généralement réservés aux femmes, ne sont pas pourvus, déplore le responsable de Minamisoma :
On n’a pas de femmes pour les postes à temps partiels, par exemple pour les caisses des supermarchés. Du coup, les magasins n’ouvrent pas.
La région était surtout agricole avant le drame. Elle se cherche des industries de prestige pour réhabiliter son image saccagée : l’agriculture informatisée, les énergies renouvelables, la robotique, l’aérospatial ou les équipements médicaux. Mais pour le moment, cela ressemble plus à un catalogue de projets qu’à un début de réalité concrète.
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