Plus d'un tiers des quelques 1 300 galeries d'art risquent de fermer au cours de l'année qui vient. C'est ce que prévoit le Comité Professionnel des Galeries d'Art dans une récente étude. On est allé prendre la température à Nice où des nouvelles mesures de restrictions viennent d'être adoptées.
C’est une grande galerie, déserte, en plein centre de Nice. Celle de Christian Depardieu. En ce moment, il y expose les oeuvres numériques d’Anne-Sarah Le Meur. Comme des halos de couleurs douces. "Ça compense la dureté du moment" soupire le galeriste. Car après près de 35 ans d’expérience dans le milieu de l’art à Nice, il désespère. Avant le Covid, il vendait une voire deux oeuvres par exposition. Depuis le confinement, c'est du jamais vu : "c'est très simple, depuis le mois de mars, on n'a rien vendu, même pas un catalogue, rien, zéro !".
Pourtant, il en fait des efforts. Quand au mois d’avril le CNAP, le Centre National des Arts Plastiques, annonce une commission d’acquisition exceptionnelle pour soutenir les galeries d’art en souffrance, il propose plusieurs oeuvres. Toutes refusées. Il y a une dizaine de jours encore, énième coup dur, pour l’évènement Un Dimanche à la Galerie il envoie entre 15 et 20 000 mails, "Résultat, j'ai eu deux visiteurs !". Tellement dur que Christian Depardieu accepte parfois de louer sa galerie, comme le week end dernier à des marchands… de plantes. Cinq cents euros par jour "extrêmement bienvenus".
A deux stations de tramway de là, à la galerie Eva Vautier, fille de l’artiste Ben, le constat est moins rude. Pendant le confinement, bonne surprise, les ventes d'oeuvres en ligne - oeuvres originales, éditions ou même livres - ont plutôt bien fonctionné : "Je pense que j'en ai vendu vingt mais ce n'est pas des oeuvres à des prix forcément faramineux, ça vaut de 14 à 2000 euros". En France et à l'étranger, "J'ai vendu trois pièces aux Etats-Unis". Les Américains absents cet été à Nice, comme les Australiens ou les Russes, clientèle fortunée qui peut assurer jusqu’à 50% du chiffre d’affaire de certaines galeries de la ville.
"Le numérique, voilà ce qu’il faut développer" assure Eva Vautier. Nourrir le compte Instagram de sa galerie, alimenter la page Facebook ou la chaîne YouTube où l’on découvre son fils l’artiste Benoit Barbagli écraser du charbon, Marc Chevalier dessiner à main levée ou Anne-Laure Wuillai actionner une de ses installations d’eau. De la nouveauté pour attirer. Mais ce n’est pas gagné, la reprise est molle. Depuis la fin du confinement à la mi-mai, Eva Vautier ignore pourquoi, les ventes en ligne chutent. Quatre seulement.
Et si l’issue était dans l’humain ? C’est ce que pense en tout cas Catherine Issert, joyeuse galeriste, c’est rare aujourd’hui, à Saint-Paul-de-Vence, célèbre village refuge d’artistes, perché à une vingtaine de kilomètres au-dessus de Nice. "Est-ce qu'on va s'orienter sur la vente en ligne ?" s'interroge-t-elle ? "Je ne crois pas".
Après le confinement, elle expose les tableaux de Jean-Charles Blais, toujours en place. Grandes silhouettes noires qui se détachent sur les murs blancs. Et contre toute attente, les collectionneurs se déplacent d’Amsterdam, de Dusseldorf ou de Zurich : "Je suis la première étonnée de ce qu'il m'est arrivé. C'est une fréquentation plus rare mais de connaisseurs. C'est incroyable mais chaque jour on a eu une belle rencontre". Elle vend une trentaine d’oeuvres, de 5 000 à 25 000 euros. L’annulation de la FIAC à laquelle elle devait participer dans un mois prochain à Paris ne l’affecte pas, au contraire, ça l'a "réjouit !".
Car les foires, "c’est la course" raconte Catherine Issert et elle est convaincue qu’il lui faut maintenant prendre son temps pour investir au mieux son lieu de travail, de passion, sa galerie. Y privilégier l’accueil, l’échange, le partage : "Ouf ! On va revenir à cette chose essentielle qui est le métier de galeriste".
Métier de pari, de flair mais peut-être aussi, qui plus est en temps de crise, de chance et de malchance.
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