Irak : le cœur historique de Bagdad risque-t-il de disparaître ?

Alaa Khaleel Nasser avec un membre de son collectif pour la protection du patrimoine, face à une maison traditionnelle de Bagdad. Irak. Avril 2021.
Alaa Khaleel Nasser avec un membre de son collectif pour la protection du patrimoine, face à une maison traditionnelle de Bagdad. Irak. Avril 2021. ©Radio France - Lucille Wasermann
Alaa Khaleel Nasser avec un membre de son collectif pour la protection du patrimoine, face à une maison traditionnelle de Bagdad. Irak. Avril 2021. ©Radio France - Lucille Wasermann
Alaa Khaleel Nasser avec un membre de son collectif pour la protection du patrimoine, face à une maison traditionnelle de Bagdad. Irak. Avril 2021. ©Radio France - Lucille Wasermann
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Dans cette ville millénaire, il ne reste déjà plus grand chose du patrimoine extrêmement riche qu'ont autrefois connu ses habitants. Sans protection, la vieille ville de Bagdad périt à petit feu et avec elle toute une partie de l'identité irakienne.

Après des décennies de conflits et de gabegie gouvernementale, les bâtiments historiques de la ville de Bagdad sont aujourd'hui délabrés. Quant aux savoir-faire ancestraux, toujours pratiqués dans certains souks de la ville, ils disparaissent peu à peu. 

Reportage au cœur de Bagdad de notre correspondante Lucile Wassermann.

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Le savoir-faire des artisans en plein cœur de Bagdad

Le martèlement de l'acier était autrefois si bruyant qu'il était difficile de se parler dans "le souk Safafeer", le marché des chaudronniers, en plein cœur de Bagdad. Dans les allées étroites de ce bazar, seule une petite dizaine d'artisans frappent encore le métal entre les vendeurs de tapis.

Nazem Hassan, 84 ans, est l'un d'entre eux. Il a le regard doux et des habits poussiéreux, trop grands pour son corps chétif.

Aujourd'hui, la plupart des échoppes vendent du tissu. Il ne reste plus que 5 à 10 chaudronniers ici. Le marché meurt. Si quelqu'un vient m'acheter quelque chose, c'est simplement pour offrir un cadeau.

Nazem Abdul Karim Hassan, 84 ans, l’un des derniers chaudronniers à Bagdad. Avril 2021.
Nazem Abdul Karim Hassan, 84 ans, l’un des derniers chaudronniers à Bagdad. Avril 2021.
© Radio France - lucille Wassermann

Ce savoir-faire irakien date de l'époque abbasside. Lorsque Nazem a commencé ce métier dans les années 50, les habitants achetaient encore ces artefacts pour leur fonctionnalité.

Le monde s'est développé en utilisant de nouvelles méthodes. Maintenant, tout est électrique. Mais avant, les gens lavaient leurs vêtements avec des conteneurs spéciaux que nous fabriquions. Tout le monde utilisait des lanternes et des bougies pour s'éclairer. 

Des bâtiments traditionnels délaissés

Le lente disparition de ce savoir-faire est symptomatique d'une négligence plus large du patrimoine culturel de Bagdad. Juste à côté du souk, dans la rue Al Rasheed, l'une des plus anciennes de la capitale, des dizaines de bâtiments traditionnels menacent de s'effondrer. Ils datent d'avant 1930 mais n'ont jamais été protégés, ni rénovés. Beaucoup ont été endommagés par les récents conflits, y compris les manifestations en 2019.

Hussein est le propriétaire de l'un de ces bâtiments. Il utilise le rez-de-chaussée comme boutique mais n'accède plus à l'étage, tant l'endroit est délabré. Seul le gouvernement peut entreprendre des rénovations de ces bâtiments classés.

Nous sommes allés voir les autorités et nous leur avons demandé de rénover la façade du bâtiment pour le restaurer tel quel. Ils nous ont dit que ce n'était pas autorisé, qu'on devait obtenir leur feu vert. Ils nous ont dit "attendez un ou deux ans, jusqu'à obtenir une autorisation".

Sa maison, en bois sculpté, fait partie de celles caractéristiques du style architectural irakien. Il ne sait pas combien de temps encore va tenir la structure, aujourd'hui oblique. Sans tenir compte du danger, il s'attriste de la perte que cet effondrement signifiera pour l'identité irakienne.

Ce bâtiment est historique, il a près de 70 ans, tout le bâtiment fait parti du patrimoine : les fenêtres sont en bois, et il y a beaucoup de belles choses à l'intérieur, mais malheureusement tout cela est ignoré par le gouvernement.

La défense du patrimoine architectural s'organise

Beaucoup d'Irakiens se sont résignés à voir leur patrimoine disparaître mais d'autres, comme Alaa Khaleel Nasser, veulent se battre pour le préserver. Ce journaliste d'une soixantaine d'années, une épaisse moustache noire sous le nez, a fondé un collectif pour défendre cet héritage. Il publie chaque mois le journal 'Bagdadioon', dans lequel il préconise une meilleure gestion de ce quartier, chargé de souvenirs pour cette vieille génération.

Avant, on venait souvent ici. C'était un endroit pour tous les Bagdadis, de vieux intellectuels venaient ici. Il y a de nombreux cinémas et de maisons très importants ici. Cette rue à un goût spécial, le design, etc.

Les membres de ce collectif rencontrent régulièrement les politiciens pour appeler à des actions de protection. Sans grand succès.

Personne ne se préoccupe de cet endroit. Quand vous demandez au maire de Bagdad, ou à d'autres, ce qu'ils font pour la protéger, ils disent qu'ils ont besoin d'argent et que l'argent qu'ils ont n'est pas suffisant pour entretenir cette rue.

Contacté par Radio France, le bureau du gouvernorat de Bagdad affirme qu'un nouveau comité est en cours de constitution pour protéger ces bâtiments historiques.

Mais tant qu'aucune mesure ne sera prise, le patrimoine de la ville continuera lui de disparaître peu à peu.

La Fabrique de l'Histoire
52 min