L'hôpital et son personnel restent au coeur de l'actualité avec la crise sanitaire, le Ségur de la santé et l'évolution de ce lieu symbolique de notre société. Des infirmiers et médecins à Laval confient leur quotidien et ce que la politique en a fait et pourrait transformer avant la présidentielle.
Chaque mercredi jusqu'au premier tour de la présidentielle, France Culture tend son micro à des Français pour connaître leurs attentes, leurs espoirs et le regard qu'ils portent sur la campagne. Épisode 3 : la campagne vue par des soignants de Laval, en Mayenne.
"On dégrade l'offre de soins et on met en danger la population"
Cheffe du service des urgences au centre hospitalier de la ville, Caroline Brémaud ne compte plus ses heures supplémentaires ni ses nuits de garde pour tenter de remédier à la fermeture de son service d'urgences. "Le quotidien est compliqué. Nous sommes cinq médecins équivalent temps-plein pour une cible située entre 16 et 18, il y a donc beaucoup de contraintes d'organisations de planning. Je suis contrainte d'adapter mon emploi du temps, de faire du temps additionnel et des enchainements de garde où il n'y pas le temps de repos total de sécurité," détaille la médecin.
Malgré tout, le service des urgences a dû fermer ses portes la nuit à une quinzaine de reprises depuis novembre dernier, ce que n'imaginait pas Caroline Brémaud il y a encore quelques mois. "On a été en grande difficulté durant l'été 2021 et on a pas fermé, on a fait le choix de se battre jusqu'au bout, de tout donner et on a fait des gardes tout seul. On s'en rendu compte qu'on se mettait, nous et les patients, en danger. On a fait l'été comme ça et on s'est dit plus jamais".
Une fermeture prise "comme un échec" par cette soignante, arrivée aux urgences comme médecin généraliste aux urgences, devenue en mars 2020 directrice médicale de crise adjointe puis cheffe de service. "On dégrade l'offre de soins et on met en danger la population," prévient-elle. Le personnel du service s'est donc mis en grève depuis le 9 octobre dernier afin d'alerter sur leur situation. "On a besoin de la population pour que les choses changent, car c'est une catastrophe et on ne peut pas s'habituer à ça. Pendant trop longtemps on a cru que la santé de l'hôpital c'était l'affaire des soignants mais la santé de l'hôpital c'est l'affaire de tous les citoyens et l'Etat a ses responsabilités, il doit fournir un accès aux soins à tout citoyen un accès équitable sur tout le territoire, or ce n'est pas le cas."
A travers un journal de bord publié sur les réseaux sociaux, Caroline Brémaud partage son quotidien et les situations dramatiques auxquelles elle est confrontée. Déplorant "une mort de l'hôpital public programmée," elle regrette que les politiques aient durant des années "dégraissé l'hôpital" en fermant des lits, "maintenant on veut rouvrir des lits mais on a plus de soignants". Caroline Brémaud attend donc du débat débat politique présidentielle "qu'il s'intéresse à la santé. C'est en train d'arriver mais ce n'était pas du tout le thème de prédilection jusqu'à présent."
S'il n'y a pas de médecins, les infirmières aussi manquent à l'appel. "Malheureusement, l'avant Covid-19 est toujours présent", souligne Maxime Lebigot, infirmier au CH de Laval et secrétaire adjoint du syndicat Force Ouvrière. "La situation s'empire puisque beaucoup de collègues ont démissionné, se sont mis en disponibilités ou sont en arrêt de travail pour épuisement professionnel."
"C'est la course aux chiffres chez les candidats, à celui qui promettra le plus de soignants"
Selon l'infirmier, la dégradation des conditions de travail s'est dégradée au fil des années. "On pensait tous qu'avec la crise Covid les choses allaient changer, la mentalité de restriction budgétaire allait évoluer mais malheureusement c'est toujours le cas et c'est encore plus flagrant depuis la crise sanitaire. Les suppressions de lit suppriment du personnel, c'était l'objectif des gouvernements successifs."
Face aux propositions des candidats de recruter 10 000, 25 000, 100 000 soignants, Maxime Lebigot rit jaune. "Il les trouve où ?" ironise-t-il. "Avec le Ségur, on nous a promis 7500 créations de postes et 7500 titularisations de postes à l'hôpital public. Mais il va déjà falloir les trouver les collègues. Là, c'est la course aux chiffres, à celui qui promettra le plus de soignants. Il faut des propositions réalistes et réalisables."
A Laval, l'hôpital est à la fois le premier et le dernier recours des patients, dont 20% n'ont plus de médecins traitants. L'accès aux soins dans le département est donc problématique globale liée à la démographie médicale. En 2016, Maxime Lebigot a fondé l'Association des citoyens contre les déserts médicaux, et il se félicite aujourd'hui que les clivages sur la question des déserts médicaux soient dépassés. "Que ca soit de gauche comme de droite, la notion de la régulation ou de l'exercice temporaire dans des zones sous-dotées fait son chemin. Or, il y a cinq ans, lorsqu'on a lancé l'association, il était hors de question pour la droite d'imaginer cela parce qu'il y a la liberté d'installation etc… Or dans l'association, nous avons des médecins qui nous disent qu'ils sont de simples fonctionnaires de l'Etat et c'est normal qu'ils aillent travailler dans les zones où on a besoin d'eux."
A l'instar de Dominique Demange, médecin généraliste qui exerce en maison de santé à Laval depuis onze ans. "On a pu répertorier qu'il y avait 12 000 sans médecin traitants depuis plusieurs années, ce qui représente 20% de la population, et on pourrait très vite atteindre des chiffres de l'ordre de 20 000 à 25 000 Lavallois sans médecin traitant. Je trouve ça inacceptable."
Alors qu'il s'apprête à prendre sa retraite dans quelques mois, D. Demange n'a toujours pas trouvé de remplaçant. Et selon lui, il y a urgence selon lui à trouver des réponses aux problématiques de démographie médicale. "J'espère qu'à l'occasion de la campagne présidentielle les candidats vont faire des propositions en ce sens-là, car les patients que je rencontre tous les jours sont complétement décontenancés, l'accès aux soins diminue et ils ne voient pas de réponses. Ils attendent des politiques des solutions. Alors j'essaye d'être optimiste et de me dire que ça va être un enjeu de la présidentielle."
Selon lui, les solutions peuvent être "relativement simples dès lors qu'on prend des décisions courageuses". "Essayer d'inciter la jeune génération a travailler dans les zones sous-dotées pendant deux à trois ans, prolonger éventuellement l'internat d'une année ou deux supplémentaires pour qu'ils viennent nous donner un coup de main dans nos cabinets, à partir du moment où les études sont financées par la collectivité," égraine le médecin qui insiste :"il faut essayer d'agir en urgence, car si rien n'est fait ou qu'il y a du replâtrage et des mesurettes, téléconsultations, infirmières en pratique avancée, cela ne réglera le problème de la démographie médicale au sens large, et de la reconstruction de notre système, que ce soit sur le plan libéral ou sur le plan de l'hôpital."
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