"Le féminisme est un cancer" : la haine des masculinistes en Corée du Sud

Manifestation des Sud-Coréennes en 2018 lors de la journée International Women's Day.
Manifestation des Sud-Coréennes en 2018 lors de la journée International Women's Day. ©AFP - JUNG YEON-JE
Manifestation des Sud-Coréennes en 2018 lors de la journée International Women's Day. ©AFP - JUNG YEON-JE
Manifestation des Sud-Coréennes en 2018 lors de la journée International Women's Day. ©AFP - JUNG YEON-JE
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Depuis quelques années, le mouvement féministe s'ancre dans la société sud-coréenne. La cause féministe affronte une vague d'opposition en pleine expansion. Que ce soit sur Internet, dans les rues, dans les sphères politiques, la parole "musclée" des masculinistes gagne du terrain.

En Corée du Sud, près de 60 % de jeunes hommes se déclarent fortement opposés au féminisme. Un chiffre qui va à l'encontre de l'image de modernité du pays. Alors que depuis quelques années et particulièrement depuis 2015 le mouvement féministe s’ancre dans la société et le paysage politique de la Corée du Sud, la cause féministe affronte aussi une vague d’opposition en pleine expansion. Que ce soit sur internet, dans les rues, dans les sphères politiques ou économiques, la parole des "masculinistes" gagne du terrain en Corée du Sud. Reportage à Séoul de Nicolas Rocca.

"Le féminisme est une maladie mentale !", scandent en boucle une trentaine d'hommes à l'égard de militantes féministes venues demander le droit d'avorter. Cette scène se déroule à Séoul l'hiver dernier, en plein débat sur la légalisation de l'IVG, une pratique désormais décriminalisée en Corée du Sud. 

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"Elles ne font pas leur part du travail, mais elles demandent des droits"

Les deux camps se font face, mais ce n'est pas que l'avortement que rejettent les hommes qui ont organisé cette contre manifestation.  "Les femmes ne remplissent pas leurs devoirs, explique un manifestant masculiniste. Elles ne font pas leur part du travail, mais elles demandent des droits. En plus de tout cela, les féministes détestent les hommes et c'est pour ça que je pense que le féminisme est un cancer."

Cette trentaine d'hommes crie et manifeste très bruyamment en tenant des propos violents. En leur faisant remarquer, la réponse fuse, ce n'est pas leur faute :   

Ce sont les femmes qui ont commencé le combat, qui ont souhaité commencer cette guerre. Elles ont dit qu'elles appelaient à poignarder leurs pères. C'est elles qui ont débuté avec ce discours de haine. Je ne déteste pas toutes les femmes. Évidemment, je déteste les féministes radicales.

En savoir plus : Les combattantes

"Je veux briser les théories folles des féministes"

Ce jeune homme d'une vingtaine d'années, lunettes carrées sur le visage, regarde avec admiration les leaders de cette contre manifestation. Parmi eux, deux YouTubeurs qui invectivent les féministes depuis un bus à la sono assourdissante. L'un d'entre eux, Wangja - le prince - est vêtu d'une longue perruque blonde sur la tête et d'une petite jupe rouge explique : "Pourquoi je suis habillé en femme ? Parce que je veux briser les théories folles des féministes. Elles critiquent lorsqu'une belle femme, une célébrité s'habille de manière légère en disant que c'est de la sexualisation du corps de la femme. Mais quand c'est une femme laide, elle trouve ça génial. Elle trouve ça super cool. Je pense que c'est de la merde, alors je m'habille en femme et je suis plus jolie quand même que les féministes. Je suis là, je me sacrifie pour avoir plus d'attention de la part des médias et nous allons les contre attaquer à plus grande échelle. Vous allez voir."  

Des appels au meurtre sur les réseaux sociaux

Quelques mois plus tard, la promesse a été tenue. Ce YouTubeur rassemble près de 400 000 abonnés sur sa chaîne intitulée "Solidarité masculine". Dans ses vidéos, il insulte mais menace aussi directement les féministes pour gagner en popularité : "Bonjour, j'ai entendu qu'il y aurait des putains de féministes là bas. Tu connais les féministes? Tu ne connais pas. Ce sont des misandres. Elle déteste les hommes. Ce n'est pas grave. Si tu ne les connais pas, c'est parce que je vais toutes les tuer."

Face à cette déferlante de haine, certaines femmes se sont rassemblées dans un mouvement appelé Haeil, la vague en français. Rencontre avec Kim Ju-hee, l'une des fondatrices :

Mon numéro de téléphone a été publié en ligne et je reçois des appels constamment. Sur les quatre derniers jours, on parle d'une vingtaine d'appels menaçants. Les gens disent en ligne :  "En voyant sa tête je comprends parfaitement pourquoi elle est féministe." Je suis harcelée en ligne sur tous mes réseaux sociaux.

Comment expliquer cette haine profonde du féminisme chez les jeunes Sud Coréens ? Une professeure de philosophie à l'Université de Sejong tente de donner des pistes de réflexion. "Pour le moment, les jeunes Coréens se sentent incompétents, incapables de monter en haut de la société, explique-t-elle. Ils pensent qu'ils sont voués à être célibataires et à rester dans une situation instable. Pas de travail, pas de perspectives d'avenir, sans repères. Ils se sentent menacés ou affaiblis par les anciens statuts masculins." 

Une sensation de perte du privilège masculin qui est loin de se ressentir dans les faits. En 2020, l'écart de salaires entre hommes et femmes était de 32 % en Corée du Sud, ce qui en faisait le pays le moins bien classé de l'OCDE dans le domaine.

L'équipe

  • Nicolas Rocca
    Journaliste