Le Mucem, un musée impatient de retrouver des visiteurs à Marseille

 A droite d’une restauratrice, la très affectée Marie-Charlotte Calafat, commissaire de “Folklore”, juste avant le coup d’envoi le 23 février du démontage de l'exposition, privée de toute visite du public, quatre mois après son installation au Mucem.
 A droite d’une restauratrice, la très affectée Marie-Charlotte Calafat, commissaire de “Folklore”, juste avant le coup d’envoi le 23 février du démontage de l'exposition, privée de toute visite du public, quatre mois après son installation au Mucem. ©Radio France - Benoît Grossin
A droite d’une restauratrice, la très affectée Marie-Charlotte Calafat, commissaire de “Folklore”, juste avant le coup d’envoi le 23 février du démontage de l'exposition, privée de toute visite du public, quatre mois après son installation au Mucem. ©Radio France - Benoît Grossin
A droite d’une restauratrice, la très affectée Marie-Charlotte Calafat, commissaire de “Folklore”, juste avant le coup d’envoi le 23 février du démontage de l'exposition, privée de toute visite du public, quatre mois après son installation au Mucem. ©Radio France - Benoît Grossin
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En maintenant ses expositions et en collectant des objets du confinement, le musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée poursuit ses activités quasiment à l’identique, malgré la crise sanitaire. Le renforcement de l'offre numérique permet de compenser en partie la fermeture au public.

Que se passe-t-il en coulisse dans les musées ? Alors qu’aucune date de réouverture pour les lieux culturels ne peut encore être fixée, dans un contexte épidémique toujours préoccupant, la crise a forcément des effets sur le fonctionnement des établissements. De nombreux musées contraints de garder porte close depuis le mois d’octobre continuent cependant à travailler activement, dans l’attente d’un retour du public, à commencer par les musées nationaux, financés entièrement par l’État et par leurs ressources propres : recettes de billetterie et de privatisation de salles.  

C'est le cas sur le vieux port, à Marseille, du Mucem, musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée, dont le président Jean-François Chougnet a signé début février la lettre ouverte adressée à la ministre de la Culture, pour une levée du confinement des centres d’art, Frac et musées. L’ensemble du personnel, quelque 140 personnes restent mobilisées, sur site ou en télétravail. Il n’y a pas d’interruption dans les chaînes de production et de gestion des collections et du bâtiment J4 (le grand bloc carré signé Rudy Ricciotti), prêt à rouvrir dès que ce sera possible. Et en attendant le feu vert du gouvernement, l’équipe du Mucem doit composer avec de fortes déceptions et des motifs d’espoir.  

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De l’emblématique fort Saint-Jean, la passerelle menant au sculptural bâtiment J4, abritant les expositions au Mucem, est également fermée au public depuis fin octobre.
De l’emblématique fort Saint-Jean, la passerelle menant au sculptural bâtiment J4, abritant les expositions au Mucem, est également fermée au public depuis fin octobre.
© Radio France - Benoît Grossin

"C’est un véritable crève-cœur !"

Le 23 février, Folklore commence à être démontée, quatre mois après son inauguration, quatre mois sans aucun visiteur au Mucem. "Restaurateur, régisseur, installateur... tout le monde est là pour le décrochage du tableau Les mangeurs de serpents de Paul Sérusier", explique la commissaire de l’exposition, Marie-Charlotte Calafat, remplie de peine et de regrets : 

C’est un moment de démontage qui est un véritable crève-cœur ! Parce qu’une exposition, c’est plusieurs années de travail. Folklore, exposition "fantôme", réunissait des œuvres très importantes et majeures à la fois de la collection du Mucem et en lien avec des artistes comme Brancusi ou Kandinsky. C’était une très belle occasion d’une relecture de la collection et l’absence d’ouverture au public donne un sentiment d’échec

De Folklore, il restera un catalogue et des contenus en ligne, mais aucune expérience physique et visible de sa confrontation tant attendue, pendant des semaines, avec le public.  

La terrasse du J4 d’habitude ouverte au public est réservée au personnel du Mucem depuis la décision de fermeture des lieux culturels, fin octobre, en raison de la pandémie.
La terrasse du J4 d’habitude ouverte au public est réservée au personnel du Mucem depuis la décision de fermeture des lieux culturels, fin octobre, en raison de la pandémie.
© Radio France - Benoît Grossin

"300 000 vues pour Folklore"

Ce sentiment d'échec ressenti au Mucem est en partie compensé par un renforcement de l’offre numérique. Depuis le début de la crise du Covid-19, avec #LeMucemchezvous, la programmation se poursuit en ligne : visites virtuelles, ateliers, débats... un grand nombre de propositions en lien notamment avec Folklore, cette exposition "fantôme" et avec succès, selon la responsable du développement culturel et des publics, Cécile Dumoulin :  

De la danse, de la musique, des conférences, la commissaire Marie-Charlotte Calafat évidemment qui explique l’exposition et même une émission pour enfants Raoul Lala. Ces contenus mis en ligne ont été tournés pour la plupart dans l’exposition au contact des œuvres pour avoir une offre plus vivante et qui a rencontré son public, puisque nous avons environ 300 000 vues sur YouTube et le site internet du Mucem, depuis le mois d’octobre. Maintenant, nous essayons de travailler davantage les formats, qu’ils soient plus courts, plus incisifs pour répondre aux nouveaux usages des internautes et pour faire en sorte aussi d’avoir une offre réellement complémentaire de celle que les visiteurs auront l’occasion de découvrir au musée quand il rouvrira ses portes. 

Pour les expositions à venir, on réfléchit à se recentrer sur la proximité pour construire des modèles plus durables : Emilie Girard, directrice scientifique et des collections du Mucem.

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"lourd vide sidéral et silence assourdissant" dans le vaste hall d'entrée du Mucem, pour Emilie Girard, la directrice scientifique et des collections.
"lourd vide sidéral et silence assourdissant" dans le vaste hall d'entrée du Mucem, pour Emilie Girard, la directrice scientifique et des collections.
© Radio France - Benoît Grossin

"Jeff Koons, échéance très importante début mai"

Le Mucem, comme la quasi-totalité des lieux culturels en France, est fermé depuis fin octobre et à toute heure de la journée, il n’y a absolument personne dans le grand hall d’entrée. "On est dans un endroit où habituellement ça fourmille, vous avez le public qui arrive, qui demande des informations au guichet derrière nous, qui va prendre son billet. Et là, on est tous seuls !", soupire la directrice scientifique et des collections, Émilie Girard. Abattue par ce "lourd vide sidéral" et ce "silence assourdissant", elle assure toutefois que tout est prêt pour accueillir les visiteurs dès que le feu vert sera donné par le ministère de la Culture :  

L’impatience, elle est réelle. L’équipe est vraiment très avide de pouvoir retrouver une partie de son être qui a été amputée : son public ! Et nous avons donc envie de rouvrir dès que nous en aurons l’occasion. On navigue un petit peu à vue mais pour autant, on a pris le parti de garder le même calendrier pour l’ouverture et la fermeture des expositions. Et il y a une échéance très importante à partir de début mai : l’exposition Jeff Koons qui a demandé beaucoup de négociations. Nous travaillons en ce moment sur la mise en œuvre de la scénographie, sur le catalogue et sur le plan de communication. L’activité normale de préparation de cette exposition suit son cours, selon le calendrier imparti.

 banderoles de soutien, autorisations de sorties, billets de spectacle annulés, une centaine d’objets du premier confinement sont en cours d’analyse au centre de conservation et de ressources du Mucem, avant leur possible entrée dans les collections.
banderoles de soutien, autorisations de sorties, billets de spectacle annulés, une centaine d’objets du premier confinement sont en cours d’analyse au centre de conservation et de ressources du Mucem, avant leur possible entrée dans les collections.
© Radio France - Benoît Grossin

"Que ça se retrouve là, c'est incroyable !"

Parmi les autres membres du personnel au travail, Aude Fanlo, responsable du département recherche et enseignement, répertorie des objets du premier confinement collectés auprès du public depuis le printemps dernier, au centre de conservation et de ressources du Mucem : 

Nous sommes ici dans l’atelier de préparation où est stockée la centaine d’objets que nous avons reçus de la collecte. Des témoignages de soutien aux soignants, des banderoles, des objets qui ont servi à faire du bruit au moment du 20 heures, comme ce petit grelot auto-fabriqué, auto-bricolé, des petites maquettes de musées ou des billets de festivals annulés, beaucoup d’objets liés aux déplacements impossibles, aux autorisations de sortie. Il y a aussi des séries photo comme celle-ci qui ont été diffusées sur Instagram avec des petits objets du quotidien qui deviennent en quelque sorte des amis journaliers qu’on customise à l’envi. Tous ces objets, comme une sorte de petit kaléidoscope ou de mosaïque, racontent des histoires personnelles, mais qui chaque fois touchent quelque chose qui en fait nous concernent tous et nous a tous concernés pendant le confinement. 

“Empreintes de poignées de mains en porcelaine crue” de Laurie Giraud, d'après la photographie d'Isaac Lawrence "Saisie d'écailles de pangolin à Hong Kong", un des objets du premier confinement collecté par le Mucem.
“Empreintes de poignées de mains en porcelaine crue” de Laurie Giraud, d'après la photographie d'Isaac Lawrence "Saisie d'écailles de pangolin à Hong Kong", un des objets du premier confinement collecté par le Mucem.
- Mucem

Une donatrice, Louise Giraud, jeune infirmière, a confié au Mucem, sa création artistique :  

J’ai réalisé des empreintes de poignées de mains entre des patients, des proches et moi-même et je les redisposées telles des écailles de pangolins qui avaient été saisies à la douane. Je me suis inspirée d’une photographie d’Isaac Lawrence diffusée par l’Agence France-Presse. En étant au Mucem aujourd’hui, cela fait quand même un drôle d’effet. Même si j’y vois plus une participation collective et quelque chose qui s’inscrit dans le cadre d’une recherche, que ça se retrouve là, c’est incroyable !  

Il n'y a pas encore d’exposition au programme pour ces objets du confinement qui doivent encore être traités, étiquetés, intégrés dans des bases de données et étudiés de près. Une commission d’acquisition devra ensuite donner son feu vert à leur entrée dans les collections. 

"C’est une grande tradition de constituer une grande partie de nos collections à partir ce qu’on appelle les enquêtes-collectes", souligne Aude Fanlo, en rappelant que le Mucem est "un musée de société qui s’intéresse aux mutations du monde contemporain, à ses dynamiques et à ses transformations, à partir des gens, des acteurs et des témoignages quotidiens et ordinaires".  

23 février 2021 : le vaisseau amiral du Mucem, le bâtiment J4 conçu en 2002 par Rudy Ricciotti et Roland Carta, est complètement fermé au public depuis quatre mois.
23 février 2021 : le vaisseau amiral du Mucem, le bâtiment J4 conçu en 2002 par Rudy Ricciotti et Roland Carta, est complètement fermé au public depuis quatre mois.
© Radio France - Benoît Grossin

"Inventer de nouvelles formes de monstration"

Alors que la terrasse du Mucem est inaccessible depuis le mois d’octobre, les jardins du fort Saint-Jean, au bout d'une passerelle de 115 mètres, eux, sont ouverts en journée au public, avec une proposition artistique. Depuis le 10 février et jusqu’à la mi-avril, les espaces extérieurs du monument historique - qui fait partie intégrante du musée -accueillent un parcours d'images : des œuvres créées dans un grand isolement par Yohanne Lamoulère. La photographe marseillaise était complètement par hasard, avec sa fille, sur une île, dans le delta du Rhône, juste avant le début du premier confinement : 

Je lui ai laissé le choix au moment où il n’y avait plus d’école. Je pense qu’elle avait un peu peur d'être en ville. Même s’il n’y avait pas d’eau courante ni d’électricité, elle a préféré rester sur place. A partir de ce moment-là, on faisait l’école le matin et l’après-midi, on faisait des photos et on construisait une histoire, en se rappelant des contes. On a fabriqué des images avec les moyens du bord dans une endroit à la fois super sauvage et assez pollué et qui représentait en même temps une liberté incroyable, un endroit très contradictoire.  

“L’attente du public est la grande question qui est venue avec la pandémie, pour tous les artistes” : Yohanne Lamoulère.

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Les rideaux à lanières obligent "les visiteurs à avoir un rapport physique avec les images et donc aussi peut-être à désacraliser l’œuvre d’art" : Yohanne Lamoulère au Fort Saint-Jean, le 23 février 2021.
Les rideaux à lanières obligent "les visiteurs à avoir un rapport physique avec les images et donc aussi peut-être à désacraliser l’œuvre d’art" : Yohanne Lamoulère au Fort Saint-Jean, le 23 février 2021.
© Radio France - Benoît Grossin

Et pour Yohanne Lamoulère, l’exposition de ses photographies au fort Saint-Jean permet de renouer avec une forme de partage :  

Nous, on produit pour des gens et quand les œuvres ne sont pas visibles, on a un sentiment d'"avortement” qui est assez étrange. J’ai une autre exposition à la scène nationale de Marseille qui pour le coup n’a jamais été ouverte au public. Donc, là, c’est l’occasion de donner, en fait. Moi, j’ai besoin de cette nourriture visuelle, mais je pense que pour la plupart des Français, ce n’est pas aujourd’hui une priorité absolue et en même temps, cela nous oblige à nous réadapter à inventer de nouvelles formes de monstration. Je n’aurais jamais exposé comme ça s’il n’y avait pas eu le confinement et la pandémie. Les "lames de boucher", comme support, ici, je trouve que c’est assez juste et que ça correspond bien au bâtiment. Cela oblige les visiteurs à traverser, à avoir un rapport physique avec les images et donc aussi peut-être à désacraliser l’œuvre d’art, se dire qu’on a le droit de la toucher, qu’on fait corps avec elle. C’est plus une dimension de partage et de réfléchir à nos manières de montrer les choses, à nos créations, en 2021, comment on fait de la photographie, comment on fait du théâtre, comment on fait de la danse... il faut qu’on trouve des solutions alternatives. 

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