

À l'institut Imagine, situé dans l'hôpital Necker, à Paris, les chercheurs planchent sur les causes génétiques des maladies rares. Deux équipes présentent leurs avancées concernant des maladies de l’œil et du sang.
Rediffusion de l'émission du 3 mars 2022
Le 28 février dernier, se tenait la journée mondiale des maladies dites "rares", qui frappent tout de même un bébé sur 2 000 naissances, soit plus de trois millions de personnes en France ! À l'institut Imagine, dans l'enceinte de l'hôpital Necker à Paris où sont regroupés un millier de chercheurs, le travail est axé sur les causes génétiques des maladies rares. Deux équipes ont présenté, ce 28 février, leurs avancées thérapeutiques majeures. L’une concerne des petits enfants, auxquels on parvient à rendre, en partie, la vue. L’autre concerne des jeunes que l’on est parvenu à délivrer d’une souffrance quotidienne due à des globules rouges qui dysfonctionnent.
Les enfants peuvent à nouveau voir dans la pénombre
L’Amaurose congénitale de Leber fait partie de la famille des dystrophies rétiniennes. Elle a été décrite pour la première fois au milieu du XIXe siècle, en 1869 précisément, par Theodor Karl Gustav von Leber, un ophtalmologiste allemand qui travailla à Heidelberg et Berlin. À l’époque et pendant un siècle et demi, les petits enfants touchés par cette dégénérescence des cellules de la rétine ne pouvaient espérer de traitement et devenaient progressivement aveugles, dans la petite enfance ou plus souvent au cours de l’adolescence.
Or, depuis 2019, une thérapie génique a permis d’enrayer cette maladie très rare, qui touche un bébé sur 35 000 à 50 000. Plusieurs gènes sont à l’origine de la maladie. Parmi eux, le gène RPE65 - lorsqu’il mute - est responsable de 10% des cas d’Amaurose congénitale de Leber. Ce gène est donc la cause directe d’une cécité progressive que décrit le professeur Matthieu Robert, praticien hospitalier dans le service d’ophtalmologie de l’hôpital Necker-Enfants malades, chercheur à Paris-Saclay, et professeur des universités :
"les enfants souffrent d'une oscillation permanente des yeux."
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Il existe donc à présent un traitement pour éviter cela. Une copie du gène qui fonctionne normalement est introduite derrière la rétine, au contact de l’épithélium pigmentaire. Il faut, pour cela, pratiquer une vitrectomie, c’est-à-dire une opération chirurgicale assez délicate qui implique de retirer le vitré de l’œil et d’introduire ensuite le gène à l’endroit adéquat. Le docteur Alexandra Daruich, chirurgienne ophtalmologiste et chercheuse à l’Inserm revient sur le geste technique qu’elle pratique sur les enfants :
"On accède à l'intérieur de l'oeil avec un système de visualisation sous microscope opératoire."
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Malheureusement, la thérapie génique ne permet pas de rendre la vision aux enfants. Elle vise surtout à stopper la maladie le plus tôt possible afin de limiter au maximum la dégénérescence. Néanmoins, il est arrivé, explique le professeur Matthieu Robert, que l’on constate une bonne surprise :
" Il faut intervenir au stade où l'enfant a encore une vision résiduelle."
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En tout, l’hôpital Necker a effectué 11 opérations, chez six patients. La dernière est toute récente, sourit le docteur Alexandra Daruich :
Alexandra Daruich préfère ne pas se prononcer sur l'efficacité à long terme.
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Pour l’ensemble des patients opérés pour l’instant, la vision est demeurée stable bien après l’opération et il n’y a pas eu de complications pendant ni après la chirurgie. La technique est donc très prometteuse.
Guérir la drépanocytose, une maladie particulièrement douloureuse
La drépanocytose est la plus fréquente des maladies rares. C’est une maladie du sang, qui touche au moins 300 000 personnes chaque année dans le monde. En France, on estime qu’un bébé sur 1 736 est porteur de cette maladie, selon les chiffres rapportés par l’Inserm en 2015. La drépanocytose est apparue en Afrique et en Asie puis elle s’est répandue ensuite en raison des mouvements de population. Elle est désormais présente aux Antilles, au Brésil et en Europe de l’Ouest. Cette maladie est particulièrement douloureuse puisqu’elle consiste en une déformation des globules rouges qui, moins souples, ne parviennent plus à passer facilement à travers tout le réseau veineux. La professeure Marina Cavazzana, pédiatre, professeure d’hématologie et directrice du département de biothérapie de l’hôpital Necker-Enfants malades explique à quel point cette maladie peut faire souffrir :
"la drépanocytose est classée dans les maladies bénignes, mais elle n'a rien de bénin"
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Il faut comprendre qu’une fois que l’hémoglobine a cédé la molécule d’oxygène qu’elle transporte, dans les différents organes, elle se cristallise en filaments rigides à l’intérieur du globule rouge. Sa précipitation déforme le globule rouge qui prend l’aspect d’une demi-lune presque rigide. Le globule n’est alors plus capable de progresser à travers les vaisseaux dont le diamètre est très petit. Comme les globules rouges et blancs s’agglomèrent cela crée des bouchons qui empêchent les organes d’être bien oxygénés. Ce qui provoque des "micronécroses aiguës ou des infarctus dans les organes où ces vasoconstrictions s’observent. C’est-à-dire, des infarctus au niveau cérébral, du myocarde, c’est une perte de fonctionnalité des poumons, des reins", détaille la professeure Cavazzana :
"Les bouchons se forment à l'intérieur des vaisseaux."
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En réalité, comme l’explique très bien le site de l’Inserm consacré à la drépanocytose, l’hémoglobine se compose de quatre protéines qui sont reliées entre elles, deux de ces protéines sont nommées alpha globine et les deux autres bêta globine. La mutation d’un gène unique qui code pour la bêta globine modifie totalement la structure de l’hémoglobine, uniquement lorsque le taux d’oxygène dans le sang est faible. Voilà pourquoi on note que "l’hémoglobine malade" se forme, chez les sujets atteints par cette mutation génétique, une fois que le globule rouge a libéré l’oxygène qu’il transporte.
Cette maladie se traduit souvent par une anémie chronique. L’hémoglobine dégradée détruit de façon précoce les globules rouges qui au lieu de vivre trois mois en moyenne, ne survivent qu’une vingtaine de jours. Les crises "vaso-occlusives" sont d’autres symptômes majeurs et particulièrement douloureux. Dus à la déformation des globules, ils peuvent entraîner des complications très importantes, dont le syndrome thoracique aigu, qui est particulièrement dangereux. Les poumons sont altérés, par manque d’oxygène, et les difficultés respiratoires qui en découlent peuvent provoquer la mort. Ce syndrome est la principale cause de décès chez les patients drépanocytaires.
Les traitements sont jusqu’à présent surtout à base d’antidouleurs, pour surmonter les crises de vasoconstrictions. La greffe de moelle osseuse est longtemps restée la seule voie de guérison possible, à condition de trouver un donneur compatible, ce qui est possible dans environ 20% des cas. Ainsi, en France, assure l’Inserm, une vingtaine de malades bénéficient d’une greffe chaque année. Enfin, une autre technique peut apporter un réel soulagement aux patients, mais ce soulagement n’est que temporaire. Il s’agit d’une transfusion sanguine qui permet de réduire la proportion de globules rouges défectueux dans l’organisme de la personne atteinte d’une drépanocytose. Ces transfusions, qui ne sont pas accessibles facilement dans les pays à faible revenu, doivent se faire tous les mois. La chercheuse Marina Cavazzana revient sur les traitements pour l’instant disponibles :
Quels sont les traitements actuels ?
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Une nouvelle voie s’est ouverte, il y a quelques années, et elle paraît révolutionnaire. Il s’agit d’une thérapie génique capable de soigner durablement la drépanocytose. Le premier essai clinique a été pratiqué avec succès pour la première fois au monde par l’équipe de la professeure Marina Cavazzana, en collaboration avec le professeur Philippe Leboulch, qui travaille au CEA/Faculté de médecine Paris-Sud, et à l’université américaine de Harvard. Ensemble, ils ont mené un essai clinique en 2014 qui a débouché sur la rédaction d’un article dans le New England Journal of Medecine, le 2 mars 2017.
Marina Cavazzana se souvient encore du jeune patient qu’elle a réussi à guérir :
"sa vie a complètement changé"
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Depuis cette date, Marina Cavazzana et son équipe de l’hôpital Necker, adossée à l’Institut Imagine, ont soigné 7 patients avec des résultats très prometteurs. Quatre sont atteints de bêta thalassémie (une maladie génétique très proche de la drépanocytose) et trois autres malades sont victimes de drépanocytose. Les chercheurs viennent de publier en janvier 2022, deux nouveaux articles qui démontrent que sur le long terme, la production d’hémoglobine saine est stable chez les malades traités.
La thérapie génique constitue donc un espoir fabuleux pour les malades. En France, on estime qu’une cohorte adulte de 25 000 personnes pourrait bénéficier de cette véritable révolution. Et à l’échelle mondiale, il y a plus de 50 millions de malades à guérir…
À condition d’en avoir les moyens, souligne la professeure Cavazzana, qui regrette - à demi mots - que l’Etat soit financièrement assez frileux alors qu’un partenariat solide changerait tout. Il faudrait aussi, dit-elle, traiter les enfants le plus tôt possible :
"Nous espérons un partenariat fort avec les institutions publiques."
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Comment fonctionne cette thérapie génique ?
Pour conclure, arrêtons-nous encore un instant sur ce que les chercheurs ont élaboré comme technique thérapeutique : il s’agit d’abord de prélever des cellules souches hématopoïétiques, c’est-à-dire celles qui se trouvent dans notre moelle osseuse et sont capables de fabriquer nos globules rouges et globules blancs. Dans le cas d’une personne atteinte de drépanocytose, ces cellules souches ne parviennent pas à produire des globules rouges sains, puisqu’un gène défectueux les en empêche. On incube donc les cellules souches du malade que l’on a extraites de son corps, pendant quelques heures, avec un vecteur capable d’introduire, en leur sein, un gène thérapeutique. Une fois que ces cellules souches ont été traitées, elles sont réinjectées au patient, après qu’il a subi quatre jours de chimiothérapie, afin d’éliminer les cellules qui dysfonctionnent chez lui. Les nouvelles cellules souches hématopoïétiques traitées sont alors capables de se réinstaller dans sa moelle osseuse, de proliférer et de produire enfin une hémoglobine saine avec des globules rouges qui ne se déformeront plus. La Professeure Cavazzana revient sur le mécanisme génétique qui est à l’œuvre :
Les globules rouges ne se déforment plus
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En France, le nombre de patients traités est encore très limité, mais aux Etats-Unis, plusieurs dizaines de malades ont pu bénéficier de cette thérapie génique. Il faudrait à présent que les essais cliniques puissent entrer dans leur phase 3, mais les financements ne sont pas encore totalement assurés.
Rediffusion de l'émission du 3 mars 2022
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