La question du port du voile agite la classe politique turque

La Turquie redécouvre la question du voile
La Turquie redécouvre la question du voile ©AFP - Diego Cupolo/ NURPhoto: Via AFP
La Turquie redécouvre la question du voile ©AFP - Diego Cupolo/ NURPhoto: Via AFP
La Turquie redécouvre la question du voile ©AFP - Diego Cupolo/ NURPhoto: Via AFP
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Le voile dans la campagne électorale en Turquie. Le président Erdogan veut inscrire le droit de porter le voile dans la constitution. L’opposition laïque demande une loi pour protéger le port du voile. À quelques mois des élections, la question du foulard islamique agite la classe politique turque.

Tout commence le 3 octobre dernier, lorsque le chef de l’opposition Kemal Kiliçdaroglu propose de légiférer pour garantir le droit des femmes à porter le voile. Il crée la stupeur jusqu'au sein de son propre parti. Quelle mouche a donc piqué le patron du CHP, parti qui plus est fondé par Mustafa Kemal Atatürk, père de la Turquie laïque ?

Le foulard islamique ne semble en effet guère menacé en Turquie. L’interdit qui le frappait à l’université ou dans la fonction publique a été levé par le président Erdogan, il y a plusieurs années, et le sujet qui a si longtemps polarisé la société turque ne fait plus débat, confirme Ipek Mercil, sociologue, professeur à l’université Galatasaray spécialiste de l’islam turc.

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"La question du voile était oubliée. Les femmes travaillent avec le voile dans le secteur public, dans le secteur privé, peuvent suivre leurs études. Il n'y a plus d'obstacle pour une femme voilée dans la société. Certes, cette question existe toujours dans les mémoires des acteurs laïques, mais ils ont commencé à accepter le voile. Ils ont vu aussi que les femmes qui travaillent avec leur voile ne posent pas de danger. Même si quelques fois, ils se demandent si l'on peut avoir une femme juge voilée, une femme agent de police voilée... ça passe. Cette question avait disparu de l'agenda politique en Turquie parce que les femmes pouvaient tout faire avec leur voile."

Ipek Merçil dans son bureau de l'université Galatasaray "Le voile n'était plus une question à l'agenda politique"
Ipek Merçil dans son bureau de l'université Galatasaray "Le voile n'était plus une question à l'agenda politique"
© Radio France - Marie-Pierre Vérot

Couper court aux rumeurs

Kemal Kiliçdaroglu, possible prétendant à la présidentielle de l’année prochaine, a-t-il voulu couper court aux rumeurs propagées par le camp présidentiel, selon lesquelles l’opposition, en cas de victoire, interdirait de nouveau le voile ? Toujours est-il qu’il a offert un boulevard au président Erdogan qui fait son miel de ces questions. Deux jours plus tard à peine, ce dernier monte au créneau. Et se propose d’aller plus loin en amendant la constitution pour protéger le voile et la famille, ce n’est pas bon signe pour Ipek Merçil. "Le gouvernement entend aborder la question de la famille, des LGBT. Quand on dit protection de la famille dans le monde entier, pour tous les gouvernements conservateurs, il y a l'avortement, il y a la contraception, il y a le divorce, donc cela nous inquiète. On ne sait pas non plus comment le président Erdogan va instrumentaliser cette question quand il va partir sur le terrain pour les élections."

Ce sont bien en effet les élections prévues en juin prochain qui agitent tout ce monde. Mais, alors que le pays se débat dans une crise économique sans précédent, que les libertés sont rognées et la liberté d’expression en danger, il y aurait bien d'autres sujets, regrette Zeynap, une jeune femme voilée qui travaille dans la communication.
"Ils ne parlent pas de nous donner davantage de droits. Ils ne parlent que du foulard comme si c’était réellement important pour nous. Ce n’est plus le cas. Je ne pense pas que l’interdiction du foulard reviendra. Cela n’arrivera pas. Je ne le redoute pas. Je pense que c’est juste un prétexte entre les mains de certaines personnes qui veulent faire croire que c’est un sujet important."

Pour Zeynab et ses amies, la classe politique turque instrumentalise la question du voile
Pour Zeynab et ses amies, la classe politique turque instrumentalise la question du voile
© Radio France - Marie-Pierre Vérot

À ses côtés, Seval étudiante approuve. "Il faut relâcher la pression sur la société sur cette question. Il y a quelques années Erdogan disait dans ses discours 'Les femmes voilées et non voilées sont toutes mes sœurs', il était alors plus pacifique mais maintenant… C’est présenté comme un problème qu'il y ait des femmes voilées et non voilées et je n’aime pas cela".

Un mouvement de dévoilement

La dernière étude sérieuse fait état d’une baisse du nombre de femmes voilées en Turquie ces dix dernières années. Elles seraient six sur 10 à porter le foulard. Et un mouvement de dévoilement traverse la société. Büşra Cebeci a enlevé son voile il y a six ans. Elle se souvient, raconte-t-elle, du vent dans les cheveux, du plaisir de choisir des boucles d’oreilles… Des premiers temps aussi où elle gardait un foulard à portée de main au cas où elle croiserait son père dans la rue.

Büşra Cebeci a décidé de ne plus porter le foulard islamique il y a six ans
Büşra Cebeci a décidé de ne plus porter le foulard islamique il y a six ans
- Büşra Cebeci

"Maintenant, raconte-t-elle, il me semble que c’est plus facile parce que, à l’époque, ce changement était un geste  radical. Maintenant, nous avons en quelque sorte brisé notre isolement. Les gens devinent ou savent ce qui nous motive ou alors ils s’en fichent. Je pense que c’est un peu plus confortable aujourd’hui. Mais soyons clair, l’AKP n’y est pour rien, c’est grâce au combat des femmes !"

À quelques mois des élections, les deux camps se disputent les votes des milieux conservateurs. Mais les électeurs et les électrices, qu’elles soient voilées ou non, ne sont pas dupes des grandes manœuvres. Leurs voix iront d'abord à celui qui semblera le plus capable de résoudre la crise économique.