En pleine pandémie de Covid-19, les Français sont plus nombreux à prendre rendez-vous chez un ou une psychologue.
Les consultations chez les psychologues de ville sont en hausse : +27% depuis octobre par rapport à l’an dernier, selon une étude de Doctolib révélée par France Bleu et 20 minutes. Et les trois quarts des psychologues interrogés affirment que leur charge de travail a augmenté. Elle serait principalement liée à l’arrivée de nouveaux patients alors que le moral des Français est en baisse depuis le début de la pandémie de Covid-19.
De plus en plus de patients
La vie de Paul, 36 ans, était pleine de voyages avant la pandémie. Il est ce qu’on appelle un nomade digital : il travaille depuis n’importe où, par choix et s’est retrouvé bloqué à Montpellier lors du premier confinement. Son mode de vie a été bouleversé, les déplacements en France et en Europe annulés.
Je me suis senti assez rapidement très anxieux, avec des problèmes de sommeil. Je faisais des insomnies deux fois par semaine.
"Les choses ont commencé à se dégrader quand ils ont annoncé le prolongement du confinement. Là, je me suis écroulé, je me suis mis à pleurer", se souvient Paul. "Je n'ai plus réussi à gérer. Ce qui ne m'a pas aidé non plus, c'est que comme je travaille dans le tourisme, au fil des mois après le déconfinement, j'ai commencé à perdre un par un tous mes clients. Au mois d'octobre, j'avais perdu 90% de mes partenaires pour le travail."
"Mon compagnon disait parfois qu'il ne me reconnaissait pas dans mes réactions, dans cette tristesse que j'avais en moi", ajoute le jeune homme. Après plusieurs mois de mal-être, il a décidé de consulter il y a quelques jours.
Marie (prénom d'emprunt), elle, consulte depuis fin octobre pour parler sa souffrance au travail, dans le milieu culturel. "On s'est retrouvé à l'arrêt. Il fallait trouver une solution pour exister en digital. Comme je suis spécialisée en production de contenus numériques, je me suis retrouvée face à un paradoxe de devoir créer à partir de rien", raconte Marie.
"On a eu un ordinateur en dernière minute, pas du tout l'upload nécessaire pour le partage de fichiers vidéo assez lourds, pas forcément de process pour pouvoir échanger avec nos collègues", énumère-t-elle. Il y avait "beaucoup de désorganisation" en plus d'une "surcharge de travail assez drastique" qui a pesé sur la jeune femme. "Au début, j'ai vu ça bizarrement comme une opportunité de pouvoir créer, d'avoir plus de liberté [...] et je me suis jetée à corps perdu là-dedans", explique-t-elle.
J'ai vraiment essayé de mettre des horaires, une pause déjeuner, de ne pas répondre après 20 heures [...] Quand on est exigeant avec soi-même, il n'y a pas de limites, il n'y a personne pour nous dire de lâcher du lest.
Des psychologues débordés
Comme elle, de nombreux Français prennent rendez-vous et les agendas des psychologues se remplissent. Bérénice Lefebvre exerce à Lille. Elle suit ses patients en visio, dont de nombreux jeunes expatriés, salariés et étudiants. "Depuis le mois de janvier", le nombre de patients "a vraiment explosé". "Ce que je remarque, c'est que soit la pandémie est venue créer quelque chose de par le bouleversement dans la vie quotidienne ou la vie professionnelle", soit la pandémie est venue "exacerber" des symptômes. "J'ai une phrase qui revient très régulièrement, c'est : 'j'ai du mal à me lever le matin'", avec "des symptômes qui sont très caractéristiques de la dépression", constate Bérénice Lefebvre. "J'ai aussi beaucoup de personnes qui ont développé des TOC [troubles obsessionnels compulsifs] de lavages et de vérification."
Roxane Poirson est quant à elle psychologue clinicienne à Paris. Elle a vu le nombre de ses patients doubler en un an, au point qu'elle ne peut plus en accepter de nouveau et s'est retirée en septembre de la plateforme Doctolib qui permet une prise de rendez-vous. Roxane Poirson reçoit essentiellement des jeunes actifs entre 25 et 40 ans, des entrepreneurs, des personnes ayant récemment perdu leur emploi et de plus en plus d’étudiants qui consultent pour la première fois. Certains ont beaucoup de difficultés à se projeter, disent se sentir paralysés et ne supportent pas le manque de libertés. Ils remettent en question de nombreux aspects de leur vie.
Parce qu'on a été cette année extrêmement confrontés à la mortalité de chacun et à notre propre mortalité, mais aussi à une vision du travail répétitive sans l'environnement qui nous permet de nous divertir et de nous évader, à travers cet ensemble de nouvelles configurations, les patients s'interrogent énormément sur la quête d'un sens à leur vie, histoire de compter, quelque part - une question qui aujourd'hui est très présente.
"Elle se joue dans les choix professionnels qu'on va faire, la manière de consommer, la politisation - beaucoup de patients sont devenus militants - et dans l'espace plus intime : à la fois la conjugalité et la famille", détaille la psychologue parisienne.
Pour un accès direct aux psychologues
Son confrère Stéphane Amar, psychologue, reçoit en privé et dans un hôpital francilien. Il suit beaucoup d’adolescents et voit 3 à 4 fois plus de patients depuis le début de la pandémie. "Il y a quelque chose d'une mise sous cloche qui devient complètement étouffante", estime-t-il.
Membre du collectif le Manifeste des psychologues, il souhaite un meilleur accès direct aux soins, alors que récemment, les complémentaires santé ont annoncé la prise en charge de plusieurs consultations par an, sur prescription médicale. Ce dernier point en particulier interroge Stéphane Amar : "Jusqu'à maintenant en effet, les actes des psychologues n'ont jamais été pris en compte. C'est ce qui est en train de bouger et on peut le saluer. La question c'est que cela se fasse dans le respect du choix du patient".
C'est-à-dire qu'il n'ait plus à justifier de ce besoin-là. Je pense que la démarche de voir un psychologue n'est pas anodine. Si quelqu'un a cette démarche, on se demande dans quelle mesure il faudrait qu'il aille valider cette initiative par un médecin traitant qui a parfois la compétence pour l'évaluer, parfois pas.
"C'est indéniable que" si tout le monde pouvait se rendre chez le psychologue, "ça représenterait un peu plus le panorama moral de notre société. Beaucoup de gens se censurent d'aller voir quelqu'un pour se faire aider à cause de cette problématique de l'argent. Certains autres vont se tourner vers les psychiatres par exemple, alors que leur demande ne relève pas toujours de la psychiatrie, mais seulement parce qu'il y a un remboursement", développe Stéphane Amar.
Dans tout malheur, il y a de bonnes choses : là, ça fait apparaître quelque chose qui était de toute façon latent. L'engorgement des centres médico-psychologiques ne date pas d'hier. La restriction des lits et des moyens en psychiatrie ne date pas d'hier.
Chez les patients aussi, on trouve une note d'espoir malgré l'épreuve collective que représente la pandémie. "On ne peut pas généraliser mais ce qui est notable, c'est que dans l'idée que convoque cette pandémie d'enfin se regarder, d'enfin faire le point sur soi, beaucoup de patients ont mis en oeuvre, même malgré eux, une certaine forme de créativité psychique explosive", remarque Roxane Poirson. "Il y a beaucoup d'idées, d'envies, sans pouvoir s'y projeter et réaliser tout ce qu'on veut pour le moment mais je dirais qu'il y a beaucoup de pulsions de vie, d'autant plus qu'elles sont empêchées pour le moment."
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