Considéré aujourd’hui, même en Occident, comme l’un des antidotes les plus efficaces face au Covid-19, le vaccin russe Spoutnik V suscite pourtant encore bien des réserves à domicile, alors qu’il est examiné en ce moment par l’Agence Européenne du Médicament.
Examiné depuis deux semaines par l’Agence Européenne du Médicament, le vaccin russe Spoutnik V suscite encore bien des réserves en Russie. Seulement 6 millions de doses ont été administrées en trois mois de campagne, dans un pays déconfiné depuis juin 2020 où la motivation pour se faire vacciner est au plus bas.
Reportage à Moscou de Claude Bruillot.
Dans le café où nous rencontrons Alexei, sur Prospekt Vernadskovo, au Sud-Ouest de Moscou, l’atmosphère est détendue. Ni la serveuse, ni le barman en portent leur masque. Danseur professionnel de 39 ans au sein de la compagnie Stanislavski, Alexei raconte qu’il a été l’un des premiers à recevoir un SMS de sa direction l’invitant à se faire vacciner.
Une année de Covid est passée, Alexei dit qu’il n’a jamais été malade. Et il se reconnait parfaitement dans les 62 % de Russes qui déclaraient le mois dernier à l’institut d’études indépendant Levada ne pas être prêts à se faire vacciner avec Spoutnik.
Pour l’instant je n’ai pas confiance. Parce que ce vaccin a été fabriqué de manière précipitée, pour être les premiers au monde à le présenter. Et c’est évident que la troisième étape des tests a été réalisée après l’enregistrement du vaccin.
Alexei le danseur professionnel rajoute tout de même que lorsque les tournées de sa compagnie reprendront, il pense qu’il sera obligé – à contre cœur – de se faire vacciner. Mais il dit qu’il choisira le troisième vaccin russe, celui qui aura été testé le plus longtemps.
La méfiance de Ekaterina, 36 ans, qui travaille dans le secteur caritatif, est encore plus grande vis-à-vis de Spoutnik V, dont elle a perçu l’apparition fulgurante en août dernier, avec beaucoup de soupçons.
Je ne peux pas avoir beaucoup de confiance dans ce vaccin. Je suis assez septique concernant toute cette histoire d’invention de Spoutnik parce que ça s’est passé très vite. Surtout qu’en Russie, nous n’avons jamais été leader dans le domaine de la recherche médicale et là, d’un seul coup, nous sommes devenus les premiers.
Le temps d'avant : ennemi de Spoutnik V
Ekaterina raconte encore que quitte à se faire vacciner, elle préfère aller à Tel Aviv en Israël rejoindre son compagnon, là où la transparence et l’efficacité quant à la démarche, lui paraissent plus rassurantes qu’en Russie…
Au-delà de la crainte des effets secondaires, ou de l’avènement rapide et suspect de Spoutnik V, il y a aussi cette vie quotidienne, proche du temps d’avant, que mènent la plupart des Moscovites, comme Sergei Vorsin, un jeune manager de 27 ans, jamais malade en une année de pandémie, et pas du tout motivé à l’idée de se faire vacciner.
Dans la mesure où je ne me sens pas malade depuis le début des restrictions sanitaires, pourquoi j’irais me faire vacciner ?! Sur mon lieu de travail, on est testé régulièrement, toutes les deux ou trois semaines. Et pour moi, les tests ont toujours été négatifs. Je pense que j’ai développé des anticorps. Et je suppose que c’est comme ça qu’on gagne de l’immunité, plutôt que le contraire, c’est-à-dire de choisir de se cacher et de faire se vacciner.
Trois mois après le début de la campagne de vaccination, seulement 700 000 Moscovites ont été vaccinés. Le docteur Sophie Andreoli, installée depuis vingt ans dans la capitale russe, a suivi, en lien avec la pandémie, près de 600 patients en 12 mois. Pour elle, les réticences locales vis-à-vis du vaccin russe n’ont rien de surprenantes et ne sont que temporaires.
La politique des autorités sanitaires russes ces derniers mois a consisté à laisser circuler le virus dans une certaine tranche de la population. Donc, décembre, janvier et février sont des mois où on a eu, où j’ai eu beaucoup de malades. Donc ces gens ne se font pas vacciner, ce qui explique que nous avons eu ici une vaccination plus lente. Mais dans les mois à venir, ce sont des gens qui n’auront plus d’anticorps, et qui peut-être vont faire la vaccination pour continuer à être immunisés.
Pourtant, aucune campagne massive appelant les russes à se faire vacciner n’est véritablement développée aujourd’hui pour accélérer le processus, et lutter contre les réticences de la population. A cela une raison très simple, malgré la faiblesse du nombre de candidats à la vaccination, c’est la pénurie de Spoutnik V qui pose problème dans une quinzaine de régions, dont la Crimée, ces dernières semaines. A ce rythme-là, l’objectif présidentiel de 20 millions de Russes vaccinés fin mars, ne sera atteint que fin juillet.
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