Liban : la contestation sociale à un tournant

Un jeune Libanais surplombe le centre ville de Beyrouth, QG de la révolte sociale
Un jeune Libanais surplombe le centre ville de Beyrouth, QG de la révolte sociale ©Radio France - Aurélien Colly
Un jeune Libanais surplombe le centre ville de Beyrouth, QG de la révolte sociale ©Radio France - Aurélien Colly
Un jeune Libanais surplombe le centre ville de Beyrouth, QG de la révolte sociale ©Radio France - Aurélien Colly
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Trois semaines après le début des manifestations au Liban, la plupart des barrages ont été levés et les routes ont rouvert. La foule des premiers jours n'est plus là mais les manifestants se mobilisent autrement, déterminés à poursuivre leur lutte contre un système politique à bout de souffle.

Il s’appelle Sam, il a 40 ans et il fait partie de ces dizaines de milliers de Libanais dans la rue depuis 21 jours, pour dénoncer un système politique à bout de souffle, hérité de la guerre civile des années 1980. Les partis confessionnels sont minés par le clientélisme, l'État a la troisième dette publique au monde et reste incapable d’offrir les services élémentaires, comme l’eau et l’électricité. L'économie du pays est en récession, le chômage endémique et la livre libanaise au bord de l’effondrement. La contestation sociale, qui a démarré à la mi-octobre, est aujourd'hui à un tournant. 

Après les routes coupées, des manifestations éclair

Il n'y a quasiment plus de barrages ni de routes coupées depuis mardi dans Beyrouth et les grandes villes du pays. Les forces de l'ordre sont intervenues pour rouvrir la circulation partout, sans heurts avec les manifestants comme Anthony, 24 ans, un peu amer mais toujours déterminé : "on va refermer [les routes] mais pas maintenant", lance-t-il. Les blocages ne sont pas revenus, ni dans la journée, ni dans la soirée, la foule des premiers jours non plus.

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Au 20e jour de mobilisation, le pays ne peut pas rester paralyser et les modes d’actions doivent changer estime Adi, âgé d'une cinquantaine d'années, avec son t-shirt siglé "résistance civile".  

Cela gêne tout le monde. Les gens veulent travailler, avoir de l'argent mais on va aller devant les ministres, jusqu'à leurs bureaux pour protester là-bas.
Adi, manifestant libanais

Des manifestations éclair sont donc organisées depuis mardi, devant les sièges de la Banque centrale et des grands opérateurs téléphoniques, devant le ministère de l’Électricité, service de base que l’État libanais n’assure pas. Dans la luxueuse marina de Beyrouth, de la famille du Premier ministre, Saad Hariri, qui a démissionné la semaine dernière mais expédie encore les affaires courantes. Tout ce qui représente la déliquescence de l’État et les abus de la classe politique, résume Adi : "Les partis ici au Liban, qu'ont-il fait pour le Liban ? Rien. Ils ont tout pris et ils n'ont rien donné. Le Liban, c'est la catastrophe maintenant. La classe moyenne est partie, il y a seulement les pauvres et les très très riches. On ne peut pas continuer comme cela."

Une contestation qui rassemble au-delà des appartenances religieuses

Appauvrissement, creusement des inégalités, économie atone, État inefficace et politiques qui se partagent le gâteau depuis trente ans et la fin de la guerre civile. Voilà le terreau de cette contestation sociale, de ce ras-le-bol, que les Libanais appellent déjà "révolution" parce que pour la première fois, elle dépasse les appartenances religieuses et communautaires. Délogé de son barrage Anthony était chrétien, Adi sunnite, Sami, lui, est chiite. "Cela fait trente ans que ces partis politiques jouent avec la religion (...). C'est une guerre d'existence. Et en même temps, ils sont en train de changer les lois pour voler plus", estime Sami. 

Tout un système, que les libanais les plus remontés veulent cette fois faire tomber, notamment ceux de la jeune génération, comme Samia et Karine, 23 ans. 

 C'est un rêve pour cette génération qui veut construire le Liban loin de toute la corruption. Notre génération, ce n'est pas une génération de guerre mais une génération qui vise à effacer les traces de guerre. C'est ce qu'on veut changer parce qu'on lève le  même drapeau, on demande les même choses. Pour une fois, on est unis et si cela ne marche pas, on va rester là.
Samia et Karine, manifestantes de la jeune génération

Mais face à la pression de la rue, les partis traditionnels et leur chef ne sont pas encore prêts de lâcher, eux qui tentent de reprendre le contrôle dans leurs rangs, tantôt en épousant les revendications citoyennes, tantôt en envoyant des milices casser du manifestant, tantôt en mobilisant leurs fidèles pour des contre-manifestations. C’est le bras de fer qui se joue en ce moment selon Imad, "même s’ils n’ont pas l’air de s’entendre en public, ils se partagent tout sous la table__. Ils essayent maintenant de contrôler, de calmer le jeu__, mais je ne crois pas que cela va marcher, c’est plutôt une pause dans la mobilisation, en attendant de voir ce qu’ils font avec le gouvernement"

La rue libanaise a déjà obtenu la démission du Premier ministre la semaine dernière, elle attend maintenant un gouvernement de techniciens, sans représentation partisane pour des réformes urgentes, avant une nouvelle loi électorale et des législatives anticipées. 

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