Mexique : à la frontière avec les migrants bloqués

Migrants du Honduras, du Mexique, de Cuba ou du Guatemala, dans l'attente de leur passage aux douanes et à la protection des frontières des États-Unis pour examiner leur demande d'asile. Le 13 janvier 2019, à Ciudad Juárez
Migrants du Honduras, du Mexique, de Cuba ou du Guatemala, dans l'attente de leur passage aux douanes et à la protection des frontières des États-Unis pour examiner leur demande d'asile. Le 13 janvier 2019, à Ciudad Juárez ©Getty - Joe Raedle
Migrants du Honduras, du Mexique, de Cuba ou du Guatemala, dans l'attente de leur passage aux douanes et à la protection des frontières des États-Unis pour examiner leur demande d'asile. Le 13 janvier 2019, à Ciudad Juárez ©Getty - Joe Raedle
Migrants du Honduras, du Mexique, de Cuba ou du Guatemala, dans l'attente de leur passage aux douanes et à la protection des frontières des États-Unis pour examiner leur demande d'asile. Le 13 janvier 2019, à Ciudad Juárez ©Getty - Joe Raedle
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Les règles mises en place par les États-Unis en matière de d'asile sont de plus en plus sévères, alors les migrants venant d'Amérique centrale et de Cuba se retrouvent par dizaines de milliers à attendre au Mexique le traitement de leur dossier. Reportage dans la ville frontalière de Ciudad Juárez.

À la frontière entre le Mexique et les États-Unis, les migrants venus d’Amérique centrale et de Cuba se trouvent confrontés aux restrictions de plus en plus sévères imposées par l’administration de Donald Trump en matière d’asile. Pendant la résolution de leur dossier aux États-Unis, les demandeurs d’asile sont renvoyés du côté mexicain de la frontière. Ils sont 40 000 en attente au Mexique, dont 15 000 à Ciudad Juárez, sans compter les listes d’attente de ceux qui n’ont pas encore pu déposer leur demande. Et de nouvelles règles sont régulièrement mises en place pour leur barrer la route. En septembre, la Cour suprême a validé la décision de Donald Trump de refuser l’asile à tous ceux qui ne l’ont pas sollicité préalablement dans tous les pays qu’ils ont traversés. Alors le désespoir gagne ceux qui ont fui la violence des gangs en Amérique centrale ou le durcissement du régime à Cuba.
Notre correspondante, Emmanuelle Steels, s’est rendue sur place.

Un migrant d'Amérique centrale entre dans le bâtiment principal de la maison du migrant, à Ciudad Juárez, le 11 juillet 2019
Un migrant d'Amérique centrale entre dans le bâtiment principal de la maison du migrant, à Ciudad Juárez, le 11 juillet 2019
© Getty - Nick Kaiser

Seulement dix demandeurs d’asile reçus chaque jour

Il est dix heures du matin sur le pont Paso del Norte, qui relie la ville mexicaine de Ciudad Juárez à El Paso au Texas. Une femme s’adresse aux agents de la patrouille frontalière américaine : elle craint pour sa vie et celle de son fils adolescent et vient demander l’asile aux États-Unis.  

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Ses proches ont disparu aux mains du crime organisé et un narcotrafiquant la persécute pour qu’elle devienne sa femme. Elle et son fils sont partis du Jalisco, une région déchirée par la violence, dans le centre du Mexique. L’agent de la patrouille frontalière les laisse passer pour qu’ils se livrent aux services d’immigration. C’est exceptionnel, car les demandeurs d’asile sont reçus au compte-gouttes, au rythme de dix par jour. Parfois, personne ne passe. À quelques mètres, Heidi, une femme venue du Honduras avec sa famille nombreuse observe la scène : elle fait partie des candidats à l’asile autorisés à traverser ce jour-là. Elle a patienté six mois à Ciudad Juárez. 

C’était désespérant d’attendre si longtemps… J’avais envie de partir en courant mais je ne savais pas vers où. Pas vers le Honduras, ça c’est sûr. Nous avons analysé les possibilités pour passer aux États-Unis, mais il vaut mieux attendre. En traversant par le fleuve, il y a des gens qui se sont noyés avec leurs enfants. Et si vous passez par le désert, les cartels vous kidnappent.

Sur le pont "Paso del Norte" qui relie Ciudad Juarez au Mexique à El Paso au Texas (avril 2019)
Sur le pont "Paso del Norte" qui relie Ciudad Juarez au Mexique à El Paso au Texas (avril 2019)
© AFP - Paul Ratje

Les ponts internationaux qui connectent les deux villes sont aussi des couloirs d’expulsion. Ils sont beaucoup plus nombreux à être refoulés par les États-Unis qu’à y entrer. Chaque mois, environ 2 000 Mexicains qui vivaient sans papiers de l’autre côté sont renvoyés à Ciudad Juárez. Et depuis mars, 15 000 Centraméricains et Cubains sont reconduits par les ponts, entre chaque entretien côté américain.

C’est le cas de Melvin, qui sort du Pont Lerdo, revenant d’El Paso. Il a quitté le Honduras pour sauver la vie de son fils de 17 ans, menacé par les gangs. Après leur audience devant le juge d’immigration aux États-Unis, père et fils viennent d’être réexpulsés au Mexique. C’est la deuxième fois en moins de deux mois.  

Quelle surprise ! Nous étions stupéfaits d’être renvoyés ici. Nous ne voulons pas rester au Mexique, nous avons peur d’être ici, c’est très dangereux. Aux États-Unis, j’ai demandé à l’officier d’immigration de quelle manière nous pouvions éviter d’être renvoyés au Mexique, mais non, c’était impossible.

Le "Protocole de Protection des Migrants"

Le programme d’attente forcée au Mexique a été baptisé Protocole de Protection des Migrants : un nom que beaucoup jugent cynique car il s’agit de les renvoyer dans les villes les plus dangereuses du Mexique et les obliger à y attendre des mois durant.  

Les demandeurs d’asile qui vont jusqu’au bout du processus risquent l’expulsion vers le pays qu’ils ont fui. C’est ce que Grisel González et d’autres Cubains veulent absolument éviter. Elle se promet de ne jamais remettre un pied à Cuba mais elle ne veut plus entendre parler des États-Unis de Donald Trump. Pour elle et sa famille, c’est décidé : leur vie sera à Ciudad Juárez.  

Pour l’avocat Luis Guerra, de l’organisation américaine Clinic, qui conseille les demandeurs d’asile, tout est fait pour décourager les migrants d’employer les voies légales et pour les pousser vers le désert.

Une personne qui fuit pour sauver sa vie ne peut pas attendre que son tour arrive sur une liste. Beaucoup de gens perdent espoir et traversent de manière irrégulière. Ce sont les images que le gouvernement veut montrer pour proclamer qu’il y a une invasion. On ferme la porte pour pouvoir dire : 'regardez, les migrants passent de l’autre côté.' Les États-Unis mettent la pression sur le Mexique pour qu’il résolve des problèmes que les autorités américaines sont parfaitement en mesure de résoudre. Elles disent que la frontière est saturée, qu’il n’y a plus de place, mais c’est un problème qu’elles ont elles-mêmes créé.

L’incertitude, les discours politiques hostiles et les difficultés pour faire entendre leur voix devant les tribunaux américains poussent de plus en plus de migrants à rebrousser chemin ou à demander l’asile au Mexique. Ceux qui restent se sentent pris au piège de la complexité du système, coincés à Ciudad Juárez.

Migrants qui tentent de traverser le Rio Grande entre Ciudad Juárez, au Mexique, et El Paso, au Texas, le 20 mai 2019.
Migrants qui tentent de traverser le Rio Grande entre Ciudad Juárez, au Mexique, et El Paso, au Texas, le 20 mai 2019.
© Getty - Mario Tama

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