Schizophrénie : mieux connaître pour mieux soigner

L’immense et moderne bâtiment rue de la Santé, à Paris, sur le site de l’ancien hôpital Saint-Anne, où sont menées de nombreuses recherches sur la schizophrénie.
L’immense et moderne bâtiment rue de la Santé, à Paris, sur le site de l’ancien hôpital Saint-Anne, où sont menées de nombreuses recherches sur la schizophrénie.  - Boris Chaumette
L’immense et moderne bâtiment rue de la Santé, à Paris, sur le site de l’ancien hôpital Saint-Anne, où sont menées de nombreuses recherches sur la schizophrénie. - Boris Chaumette
L’immense et moderne bâtiment rue de la Santé, à Paris, sur le site de l’ancien hôpital Saint-Anne, où sont menées de nombreuses recherches sur la schizophrénie. - Boris Chaumette
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Les Journées de la schizophrénie visent à raconter une maladie très stigmatisée qui touche pourtant presque 1% de la population mondiale. Visite du centre de recherche parisien qui travaille sur les causes de ces troubles psychiatriques.

La schizophrénie est une maladie qui touche près d'une personne sur 100 et elle est aussi fréquente dans tous les pays. L'OMS l'a classée parmi l'une des dix causes majeures d'invalidité dans le monde. Elle se déclenche au moment de l'adolescence et jusqu'à l'âge de 25 ans, environ. Bien que d'importants progrès aient été faits ces dernières années, on ne cerne pas encore totalement les causes génétiques de ces dérèglements cérébraux qui peuvent déboucher sur des hallucinations. D'ailleurs, la génétique n'explique pas tout, car à génome identique (chez les vrais jumeaux par exemple), le risque de développer une schizophrénie chez deux individus différents est de 50%. Il y a donc bien d'autres facteurs dits "environnementaux" ou "épigénétiques" que les chercheurs sont en train d'explorer. Tara Schlegel s'est rendue au groupe hospitalier universitaire Paris Psychiatrie et Neuroscience. 

Trois types de comportement très caractéristiques 

Le Dr Boris Chaumette nous reçoit dans l’immense et moderne bâtiment situé 102 rue de la Santé, sur le site de l’ancien hôpital Saint-Anne qui désormais a fusionné avec d’autres structures pour donner naissance, en 2019 au GHU Paris - le premier acteur parisien des maladies mentales. Le jeune psychiatre fait partie de l’équipe de Marie-Odile Krebs, l’une des équipes de recherche du site qui se consacre essentiellement à la découverte des causes de la schizophrénie et de ses traitements possibles. 

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La schizophrénie est une maladie aux symptômes variés, qui touche entre 0,7 et 1% de la population. Elle se déclenche dès l’adolescence, entre 15 et 25 ans, et se traduit, par trois types de comportements très caractéristiques que nous décrit Boris Chaumette : 

"Ce sont par exemple des hallucinations, ou des patients qui entendent ds voix."

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Les symptômes dits "positifs" sont quelque chose qui vient en plus d’un comportement normal. Ce sont par exemple des hallucinations, on observe des choses qui ne sont pas réelles ou on entend des voix. Et puis (…) on a des délires. Là ce sont des gens qui vont interpréter différemment la réalité, penser qu’ils sont menacés, poursuivis, qu’on s’est moqués d’eux. Ou qu’ils ne sont pas le fils de leurs parents... Au delà de ces symptômes dits "positifs", il y a des symptômes dits "négatifs", qui viennent en moins par rapport à un individu normal, et ça c’est un manque d’énergie ou de capacité de concentration et une perte de la capacité à se prendre en charge. 

Les patients souffrent aussi parfois d’une vraie désorganisation, qui les empêchent d’avancer car ils pensent souvent à deux situations en contradiction l’une avec l’autre et n’arrivent pas à se décider. Le Dr Chaumette est psychiatre et chercheur en neuroscience. Il cherche à découvrir les causes génétiques de la maladie car on commence à découvrir des variants de certains gènes qui parfois expliquent les troubles psychiatriques. 

Le psychiatre et chercheur Boris Chaumette.
Le psychiatre et chercheur Boris Chaumette.
© Radio France - T.S.

Il y a, explique Boris Chaumette, des variants rares, qui "confèrent un risque élevé de développer une schizophrénie", et des variants fréquents qui, eux, "sont associés à un risque très faibles" mais qui peuvent se combiner. Comme il le détaille dans un dossier spécial, paru dans la revue Cerveau et Psycho, on estime que ces variants expliquent probablement autour de 2 à 3% des schizophrénies. 

Mais parmi les 7 000 maladies génétiques rares identifiées pour l’instant, certaines sont plus prédictives que d’autres. Ainsi, les chercheurs ont-ils identifié notamment une pathologie baptisée la délétion 22q11. Les enfants - qui naissent avec un chromosome 22 qui a perdu une bonne vingtaine de gènes - souffrent donc de cette pathologie et ont presque une chance sur deux de développer une schizophrénie. Le Dr Boris Chaumette revient sur cette délétion 22q11 : 

"On a beaucoup à apprendre des gens qui sont à risque, mais qui ne développeront pas la maladie."

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"C’est une maladie qui se traite mais il ne faut pas tarder"

Il existe en France une association qui regroupe les proches des malades atteints de délétion 22q11. Depuis une vingtaine d’années, cette organisation aide les parents des enfants qui naissent avec ces gènes en moins, à entourer les jeunes malades. Françoise Neuhaus, dont la fille a été dépistée avec plusieurs années de retard, préside "Génération 22" :

"C’est une maladie qui se traite mais il ne faut pas tarder."

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Mon rôle dans l’association c’est d’avoir expérimenté toutes ces phases là, avec ma fille qui a actuellement 32 ans, qui a été diagnostiquée 19 ans mais prise en charge avec 7 ans de retard. 

Comme l’explique Anton Iftinovici, qui est en dernière année de thèse, dans le laboratoire de Marie-Odile Krebs - mais qui est aussi interne en psychiatrie et se destine donc à prendre parallèlement en charge des malades tout en poursuivant sa recherche - l’objectif est de parvenir à mettre en place une prise en charge précoce. Pour cela, on a besoin de diagnostiquer le plus tôt possible les sujets à risque, au delà des seuls porteurs de la délation 22q11. 

Le jeune chercheur admet que pour l’instant c’est encore très difficile, car aucun marqueur ne permet pour l’instant de dépister formellement la schizophrénie. Il travaille donc sur des cohortes dites "à ultra haut risque de psychose", c’est-à-dire des sujets qui présentent certains symptômes mais pas tous… et qui développeront, pour certain d’entre-eux seulement, des troubles psychotiques. L’idée est de chercher à prédire quel sera le devenir de ces sujets. Anton Iftimovici : 

"En recherche, on mesure des données biologiques, de l'imagerie et de la génétique pour tenter de classer les patients."

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Le projet que vient d’évoquer Boris Chaumette se nomme RHU PsyCare - RHU pour Recherche Hospitalo-Universitaire, il s’agit de projet d’excellence qui sont soutenus par les pouvoirs publics - et il est doté de 8,8 millions d’euros. Il vise, justement, à prévenir l’entrée dans la maladie des jeunes adolescents qui sont à risque de faire une première crise psychotique et il s’appuie sur un réseau, baptisé Transition, qui a pour mission d’essayer de soigner au plus vite, les adolescents ou les jeunes adultes qui risquent de basculer vers la schizophrénie. 

De la recherche avec l'aide de l'intelligence artificielle

Pour en revenir à la recherche, qui ne cesse d’évoluer en la matière, le doctorant, Anton Iftimovici travaille à un projet de "machine learning" qu’on appelle en français de "l’apprentissage supervisé". Il s’agit, en quelque sortes, d’apprendre à une machine à reconnaître les malades et leur évolution. A l’heure des big data, les chercheurs espèrent que les ordinateurs seront capables de prédire la trajectoire des personnes à risque de développer des troubles psychiatriques. Pour l’instant, certains consortiums sont parvenus à tomber juste pour 80% des malades, raconte Anton Iftimovici : 

"Dans le cerveau, on a de la matière grise et on peut la mesurer."

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Comme l’explique encore Boris Chaumette, les hommes ne sont pas égaux devant la maladie. La génétique à elle seule ne peut tout expliquer et ses facteurs se combinent avec d’autres facteurs, dits environnementaux, qui auront un effet sur l’expression des gènes. Parmi les causes susceptibles de déclencher la schizophrénie, on trouve en premier lieu le cannabis, insiste le psychiatre. 

Pour les personnes les plus sensibles au cannabis, "elles risquent de faire une crise psychotique et de ne jamais redescendre de leurs symptômes !" : 

"C’est vraiment un jeu de roulette russe pour les jeunes."

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"C’est vraiment un jeu de roulette russe pour les jeunes."

Comme le rappelle le Dr Chaumette, il en faut jamais hésiter à emmener un adolescent consulter un spécialiste. Même si la famille se déplace pour rien, ce n’est pas grave, insiste le médecin. En revanche, trop attendre peut faire basculer un sujet dans la schizophrénie. Et lorsque le jeune a vécu une deuxième crise psychotique, alors on considère qu’il est entré dans la maladie. 

Une maladie chronique qui, bien soignée, peut permettre de vivre normalement. Mais qui pour un tiers des malades est très invalidante car ils ne répondent pas bien aux traitements. 

Le pavillon Bell qui accueille les patients du XVIè arrondissement
Le pavillon Bell qui accueille les patients du XVIè arrondissement
© Radio France - T.S.

Des malades bien souvent plus dangereux pour eux-mêmes

A quelques dizaines de mètres du centre de recherches de l’Inserm, se trouve l’hôpital Saint-Anne où arrivent les malades de secteur. La psychiatre Marine Raimbaud travaille dans le pavillon Benjamin Bell, où sont accueillis les habitants du 16e arrondissement de Paris. Au premier et deuxième étage se trouvent les chambres d’hospitalisation. Le dr Raimbaud nous attend dans son bureau, en compagnie de Marine Chauveaux, une jeune infirmière qui travaille ici depuis deux ans. Toutes deux reviennent à la fois sur les symptômes de la schizophrénie et sur la prise en charge des malades. 

La psychiatre Marine Raimbaud (à gauche) et l'infirmière Marine Chauveaux.
La psychiatre Marine Raimbaud (à gauche) et l'infirmière Marine Chauveaux.
© Radio France - T.S.

Marine Raimbaud a fait sa thèse sur la représentation de cette maladie, dans les films et dans la société. Ils sont toujours représentés comme des fous dangereux, déplore la psychiatre, alors qu’en réalité ils sont bien souvent plus dangereux pour eux-mêmes : 

"Comme m’a dit un patient, je ne suis pas un fou qui parle aux arbres."

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Une fois que la crise du patient est passée, la psychiatre et l’infirmière tentent de travailler avec le malade sur ses troubles afin de prévenir toute récidive. Le dr Marine Raimbaud : 

"Cela va commencer par de petites impressions au fur et à mesure, mais cela va prendre de l’ampleur."

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Environ 30% des malades seront stabilisés et considérés comme "remis", plutôt que guéris. Mais ils n’auront plus besoin de médicaments. 40% d’entre eux continueront à suivre un traitement mais pourront vivre une vie normale. Enfin, un tiers des patients ont une schizophrénie qui résiste aux thérapies actuelles et seront fortement handicapés par leur fragilité psychiatrique. Pour l’équipe de recherche du dr Chaumette, il est urgent que les laboratoires pharmaceutiques travaillent à l’élaboration de nouveaux médicaments. Car on sait que les antipsychotiques, très efficaces sur la dopamine, pourraient aussi cibler d’autres neurotransmetteurs, dont il est avéré qu’ils jouent un rôle très important dans le déclenchement des crises. Notamment les neurotransmetteurs glutamate. Mais c’est un chapitre qui est encore à écrire.  

Le Magazine de la rédaction
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La Méthode scientifique
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