Un suicide d’interne tous les 18 jours, depuis le premier janvier 2021. C’est le triste bilan sur lequel l’InterSyndicale Nationale des Internes alerte. À travers sa campagne #Protègetoninterne, l’organisme veut éviter de nouveaux drames. Rencontres.
- Olivia Fraigneau présidente de l’Association des Jeunes Médecins Urgentistes
- Gaëtan Casanova président de l'InterSyndicale Nationale des Internes (ISNI), interne d'Anesthésie-Réanimation à Paris
Ils étaient présents devant le ministère de la Santé, le 17 avril dernier, pour rendre hommage aux 5 internes disparus depuis le premier janvier. Depuis, les membres de l’ISNI (l'InterSyndicale Nationale des Internes) répètent "ne rien lâcher"… Une mission qui s’impose d’elle-même, pour éviter de nouveaux drames.
Depuis un an, la crise sanitaire du Covid-19 aggrave les conditions de travail des internes, mais l’ISNI insiste : le mal être des internes est une réalité qui existait déjà bien avant. Selon une enquête réalisée en 2017 par l’organisme, 23,7% des internes disaient avoir des pensées suicidaires, et 28% disaient souffrir de syndromes dépressifs.
Des statistiques dans lesquelles se reconnaît Mélie Klein, médecin généraliste. La jeune femme, également mère d’un enfant en bas âge à l’époque de son internat, a fini ses études juste avant le coronavirus, en 2020. Elle témoigne d’un parcours qui n’a pas été de tout repos, entre un rythme épuisant, une pression de la part de son maître de stage, et des menaces d’invalidation de sa faculté.
Mélie Klein, médecin généraliste, a fait un burn out pendant son internat
44 sec
Cet épuisement professionnel aboutit alors à un arrêt de travail. Le diagnostic tombe : syndrome dépressif majeur. Mélie décide alors de prendre une année de pause dans son internat. Une décision difficile à prendre, explique-t-elle : "On a une culpabilité énorme de se dire 'je suis médecin, mais je ne vais pas bien'."
Mélie Klein a pris une année de disponibilité à la suite de son burn out
55 sec
On est docteur, mais on reste humain, et donc patient. On doit faire attention à soi… Jamais personne dans la hiérarchie n’a pris soin de moi.
Un sentiment partagé par Olivia Fraigneau, présidente de l’Association des Jeunes Médecins Urgentistes. Actuellement interne en troisième semestre de médecine d’urgence à Paris, elle aussi a vécu un burn out : "Quand j’essayais d’en parler, j’avais l’impression que le problème c’était moi. C’était moi qui n’arrivais pas à travailler autant, à faire des séries de 26 jours, des semaines de 70 heures." raconte-elle. Elle souligne également un climat pesant, instauré par certains supérieurs.
Si j'ai tenu aussi longtemps sans m'arrêter, c'est parce que j'étais persuadée qu'on ne s'arrêtait pas juste pour ça, qu'être fatiguée à ce point ce n'était pas "aller mal", et qu'on avait terriblement besoin de nous en ce moment avec la crise. Je me disais qu'il fallait que je prenne sur moi, que ça allait passer.
Olivia était présente le 17 avril dernier devant le ministère de la Santé pour rendre hommage aux internes disparus : "Il faut arrêter de toujours se cacher derrière des excuses quand un interne passe à l'acte"
47 sec
Le mal être des jeunes médecins… et de l’hôpital public
Olivia souhaite toujours devenir médecin urgentiste dans le service public, sa vocation depuis des années. Mais elle reconnaît toutefois ne pas fermer la porte au privé… Chose impensable pour elle il y a encore un an.
D’après une étude de l’InterSyndicale Nationale des Internes et du groupe MNH-NEHS, réalisée en mars 2021 par Oratorio, 77% des jeunes médecins fuient ainsi l’hôpital public… Une conséquence directe du mal être des internes, qui représentent à eux seuls 30 à 40% du personnel médical dans les hôpitaux.
"La première raison de cette fuite n’est pas l’argent" explique Gaétan Casanova, président de l’ISNI, "Beaucoup de jeunes médecins rentrent dans le privé non lucratif, et les rémunérations sont quasi identiques [ndlr : que dans le public]. (…) La vraie question c’est "Qu’est-ce qu’on fait aujourd’hui de l’hôpital public, qu’est-ce qu’on donne comme sens à l’hôpital public, et comment on traite les personnes qui travaillent à l’hôpital public ?'. "
Un danger pour les médecins, comme pour les patients
L’organisme redoute de nouveaux suicides dans les mois à venir : "Il faut commencer par appliquer la loi", répète Gaétan Casanova. L’intersyndicale insiste ainsi sur la nécessité absolue d’un décompte horaire inexistant à ce jour, en adéquation avec une directive européenne de 2003 imposant une limite de 48 heures de travail par semaine. En effet, d’après une enquête réalisée en 2019 par l’ISNI, les internes travaillent en moyenne 58 heures par semaine… Des heures pouvant aller jusqu’à 90 depuis la crise sanitaire. De même, l’ISNI souhaite une application stricte de la loi en matière de harcèlement et de violences au travail.
Pour afficher ce contenu Twitter, vous devez accepter les cookies Réseaux Sociaux.
Ces cookies permettent de partager ou réagir directement sur les réseaux sociaux auxquels vous êtes connectés ou d'intégrer du contenu initialement posté sur ces réseaux sociaux. Ils permettent aussi aux réseaux sociaux d'utiliser vos visites sur nos sites et applications à des fins de personnalisation et de ciblage publicitaire.
Au-delà de la législation, l’Intersyndicale alerte en fait sur les conséquences de l’épuisement professionnel des internes… Un danger pour la santé de ces médecins en formation, mais aussi pour la santé des patients. "C’est vraiment ce qui nous inquiète. Vous accepteriez, en tant que patient, d’être pris en charge par un interne, s’il vous disait avoir 80 heures derrière lui ?" interroge Léo Sillion, vice-Président de l’ISNI, "Derrière ces suicides d’internes, c’est aussi l’état des soins et la santé des patients qui sont en jeu".
L’InterSyndicale Nationale des Internes dit avoir l’intention de persister dans ses revendications auprès du gouvernement dans les mois à venir, pour les internes mais aussi les patients.
Numéros d'écoute
- Suicide écoute : Accueil et écoute des personnes confrontées au suicide, 24h/24, 7j/7. Numéro d’appel : 01 45 39 40 00 (prix d’un appel local)
- SOS Suicide Phénix : Accueil et écoute des personnes confrontées au suicide, 7j/7 de 16h à 20h. Numéro d’appel national : 0825 120 364 (15ct / min)
- Plateforme d’appui psychologique pour les soignants par le gouvernement : 0800 73 09 58
L'équipe
- Journaliste