Premier jour de tournage pour "Les Passagers de la Nuit", le nouveau film de Mikhaël Hers aujourd'hui. Il doit durer plus d'un mois. Comment les producteurs appréhendent, organisent et gèrent-ils le tournage d’un long-métrage sous Covid ? Avec anxiété, certes, mais enthousiasme aussi.
"Vous avez vu mes cernes ?" lance, amusé, Pierre Guyard, dans son bureau chez Nord Ouest Films, à Paris. C’est lui qui produit Les Passagers de La nuit, le nouveau long-métrage de Mikhaël Hers, dont il a déjà produit deux précédents films, Amanda et Ce Sentiment de l'Été. Il est donc rôdé. Et doué - le César du Meilleur Premier Film reçu en 2015 pour Les Combattants de Thomas Cailley rangé dans l'étagère derrière lui nous le rappelle. Mais il le reconnait, il appréhende plus que d’habitude ce premier jour de tournage. "Les gouttes sont grosses, elles sont nombreuses" observe-t-il, "ça va être périlleux de traverser cette étape sans se mouiller" :
On a tous beaucoup plus peur ! On à la fois peur pour la santé des gens (...) et c'est vrai qu'on a du mal à imaginer qu'on puisse faire le film sans sinistre. Or, c'est très bizarre. On fait des métiers de risque, donc on sait qu'on a du risque associé à l'exercice de nos métiers, mais le principe du risque, c'est qu'il n'est jamais certain. Là, on est presque tous à penser que le pire est certain ! C'est un peu terrible (...) et ça empêche de dormir. Oui, ça, c'est sûr !
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Trente-sept jours de tournage à Paris et en Normandie. Avec entre autres Charlotte Gainsbourg et Emmanuelle Béart et jusqu’à une quarantaine de personnes sur le plateau. Trente-sept jours, si tout va bien.
Des contraintes mais pas seulement
Et pourtant, étonnement, le producteur a le sourire. Comme le régisseur général des Passagers de la Nuit, Pierre-Axel Vuillaume-Prézeau, nommé aussi "référent Covid" comme c'est désormais l'usage sur les tournages. L'air serein. Car d'abord, tout va être fait pour garder le virus à distance. Des tests PCR seront proposés à tous les comédiens trois jours avec leur scène. Pour se restaurer, interdit les barnums, ces grandes tentes normalement installées sur la voie publique, "il a fallu trouvé de grandes salles vides, notamment auprès de paroisses, pour installer nos cantines" explique le régisseur général qui surveillera de près les stocks de masques et gel. Un thermomètre thermique, pour prendre la température à distance, sera à disposition. Mais c’est surtout que les contraintes donnent parfois des trouvailles.
Exemple avec cet appartement du quartier de Beaugrenelle, dans le 15e arrondissement de Paris, entièrement - en partie à cause du Covid - reconstitué en studio, pas ordinaire. L'équipe tournera au Zénith de Caen. Une première pour Pierre-Axel Vuillaume-Prézeau, enthousiaste :
Ça nous apporte une souplesse d'être dans un espace très grand. En plus, il aurait fallu avoir des accords avec la copropriété pour pouvoir stocker le matériel dans le hall de l'immeuble, là on a une vraie liberté. Ce qui est intéressant, c'est qu'au Zénith, pour en avoir discuté avec eux, ils se sont rendu compte qu'ils étaient capables d'accueillir des tournages et que pendant des sessions où ils n'avaient aucun concert, c'était peut être une possibilité à l'avenir pour d'autres projets. Donc, de tout ça naissent de nouvelles habitudes et de nouvelles façons de travailler aussi pour nous. C'est intéressant de faire et d'essayer de nouvelles choses.
Des coûts supplémentaires mais des surprises en plus
Par ailleurs, tourner sous Covid peut aussi réserver de bonnes surprises. Moins de temps de déplacement car moins de monde sur les routes. Moins forts aussi les bruits de la rue, moins fréquents les avions qui passent en plein prise. C'est ce qu'a constaté Isabelle Madelaine, productrice de Robuste, le premier film de Constance Meyer, dont le tournage de trente-sept jours là aussi, s’est terminé mi-décembre. Mais tout de même, prévient-elle, se protéger du virus a un coût : entre 70 000 et 80 000 euros dans son cas, soit environ 4% du budget de son film. Et surtout, assure-telle, c'est rude pour les nerfs :
On a eu des sueurs froides tout le temps. Par exemple, on a fait des tests PCR le mercredi qui précédait le début du tournage et on avait la chef électro - qui est quand même comme l'interlocuteur privilégié du chef opérateur qui s'occupe de toute la lumière - qui a été diagnostiquée positive. Donc là, on la remplace mais heureusement qu'on l'a testé avant, qu'on soit rendu compte à ce moment-là, parce qu'elle aurait pu commencer le film et potentiellement contaminer toute son équipe ! Au final, j'ai quand même eu cinq cas sur le tournage.
Cinq tests positifs mais la réalisatrice, le chef opérateur, les principaux comédiens - Gérard Depardieu et Déborah Lukumuena - ont été épargnés. Résultat : le tournage ne s’est pas arrêté. Une chance :
C'est une sorte de paquebot qui est lancé quand vous lancez un tournage. Par exemple, sur ce film, on avait à peu près vingt-quatre décors, des bars, des restaurants, un cabinet d'avocats, des appartements, une ferme, un plateau de cinéma...(...) Vous prévoyez aussi toutes les interventions déco avant le tournage, c'est beaucoup de travail de peinture, d'ameublement etc... Alors, tout à coup, si vous avez une interruption, la machine s'enraye. Ça peut vraiment être très, très lourd en termes de logistique
Comme un carambolage...
Tourner, "ça fait corps, ça fait coeur, ça fait pays, ça fait nation !"
Pierre Guyard n’en est pas là. Et puis le producteur le rappelle, si Les Passagers de la Nuit est stoppé dans son élan, plus d’assurance, mais un fonds d’indemnisation qui permet de couvrir jusqu’à 20% du capital assuré soit, en ce qui le concerne, 860 000 euros :
C'était la condition sine qua non à la reprise de l'activité, donc en ça c'est vraiment une idée clef, une idée géniale !"
Alors "tournons" martèle Pierre Guyard, même s’il ne sait pas quand son film sortira, peut-être deuxième semestre de l’année prochaine, mais tournons. Parce qu’un cinéma et une culture divers, c’est la vie, du lien aussi et que du hameau à la capitale, on en a besoin :
Pour certains, ce n'est qu'un petit divertissement, alors qu'en fait, ça fait corps, ça fait coeur, ça fait pays, ça fait nation ! C'est grandiloquent tout ça mais c'est vrai. Et si déjà, chez quelques personnes qui n'étaient pas persuadées que c'était essentiel, le déclic se fait alors on aura au moins gagné ça. Et peut-être qu'on fait sans le savoir, je l'espère, un pas vers un peu plus de richesse culturelle et d'esprit de corps et d'esprit de sens encore une fois. C'est sûr, c'est une certitude !
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