Vox, la nouvelle voie du paysage politique espagnol

Militant près du stand d'information du parti Vox, Camas, Andalousie, le 11 mars 2019.
Militant près du stand d'information du parti Vox, Camas, Andalousie, le 11 mars 2019. ©Radio France - Isabelle Labeyrie
Militant près du stand d'information du parti Vox, Camas, Andalousie, le 11 mars 2019. ©Radio France - Isabelle Labeyrie
Militant près du stand d'information du parti Vox, Camas, Andalousie, le 11 mars 2019. ©Radio France - Isabelle Labeyrie
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En Espagne, les élections générales du 28 avril devraient marquer l'entrée de Vox au Parlement national. Vox qui pourrait donc devenir, après quatre décennies de dictature franquiste, le premier parti d'extrême droite à être représenté aux "Cortes". Sur quels arguments séduit-il les électeurs ?

L’événement s’appelle Cañas por España (un jeu de rimes qui pourrait se traduire par "une pression à la santé de l’Espagne"). Une fois par mois, dans un bar de Séville - chaque fois différent - Vox organise une rencontre avec le public : cadre informel, ambiance décontractée entre deux commandes de bière... Le parti vient chercher les jeunes électeurs sur leur propre terrain. 

Le parti cible les jeunes

Rodrigo Alonso, député Vox au parlement andalou. Séville, Andalousie, le 11 mars 2019.
Rodrigo Alonso, député Vox au parlement andalou. Séville, Andalousie, le 11 mars 2019.
© Radio France - Isabelle Labeyrie

Ce soir-là, l’orateur convoqué au jeu des questions réponses est l’un des 12 députés Vox au parlement local, Francisco Serrano. "C’est un cadre informel, spontané, pour que les jeunes nous connaissent mieux", explique-t-il. "Je vais leur parler des thèmes qu’on défend, l’importance de la famille, le sentiment national... Leur dire que ces valeurs ne sont pas celles d’une Espagne rance mais d’une Espagne jeune, une Espagne vivante ! Certains veulent s’attaquer à l’unité du pays et nous empêcher d’être fiers d’être Espagnols ? Mais c’est ça, l’esprit de Vox". 

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Anti-indépendance (Vox s’est imposé à la faveur de la crise catalane), anti-immigration, anti-IVG, anti-élite, homophobe, le parti promet de "rendre sa grandeur à l’Espagne"... Souvent loin des micros des journalistes : interdiction d’enregistrer la rencontre entre Francisco Serrano et son public. "Certains médias viennent pour nous faire du mal", assume Maria José Piñero, responsable du parti en Andalousie. "C’est pour ça qu’on préfère laisser entrer uniquement nos sympathisants".

María José Piñero, députée de Vox au Parlement andalou et présidente du parti en Andalousie. Séville, le 12 mars 2019.
María José Piñero, députée de Vox au Parlement andalou et présidente du parti en Andalousie. Séville, le 12 mars 2019.
© Radio France - Isabelle Labeyrie

Le matin même, la façade du bar a été couverte de tags : "les fascistes, dehors !", "Mort à Vox". "Ils nous accusent d’être des fascistes mais les fascistes, c’est l’extrême-gauche, ces intolérants incapables d’accepter que l’on pense différemment !", tempête Maria José Piñero. "Ici, 400 000 personnes ont voté pour nous... ça voudrait dire qu’il y a 400 000 fascistes ?"

Vox, souvent comparé au Front National de Jean-Marie Le Pen, refuse pourtant les étiquettes : ni "populiste", ni "extrême-droite". Dans un coin du bar, un groupe d’étudiants venus faire une pause pour parler football se montre plutôt réceptif aux thèses du parti. "Après avoir bu ma bière, je vais faire le 'costallero', dit l’un d’entre eux. Je vais porter la statue de la Vierge pour la procession de la semaine sainte. Vous savez, on est dans une ville où les traditions sont importantes, et je suis d’accord avec Vox, il faut qu’on les défende".

Les indécis de la bande préfèrent quant à eux renvoyer dos à dos les deux extrémités du spectre politique. "Les gens se scandalisent beaucoup avec Vox, mais pas avec Podemos... Pourtant c’est un extrême aussi, l’extrême-droite contre l’extrême-gauche. Sauf que Podemos s'est normalisé, donc on ne leur dit rien ! Ça, c’est pas normal."

Vox profite aussi de l'usure des principaux partis

Manifestants anti-fascistes face au stand d'information de Vox, à Camas (Andalousie), le 11 mars 2019.
Manifestants anti-fascistes face au stand d'information de Vox, à Camas (Andalousie), le 11 mars 2019.
© Radio France - Isabelle Labeyrie

Vox capitalise surtout sur la déception des électeurs à l’égard des deux grands partis qui depuis 40 ans structurent la politique espagnole, Parti socialiste et Parti populaire, discrédités par les scandales de corruption, usés par le pouvoir.

En banlieue de Séville, à Camas, là où le chômage dépasse les 30%, on parle avant tout emploi, immigration, insécurité. Alors quand Vox s’installe sur la place de la mairie, le temps d’une matinée, pour recruter de nouveaux électeurs, ses soutiens s’affichent : "Vox, ils peuvent régler tout ça", dit Irène, qui accepte de signer un texte de soutien. "Ici, on a besoin d’une personne à poigne, que ça file droit !"

Marie-Carmen, 72 ans, dialogue avec l’un des militants venus à sa rencontre. "On a une chose qui joue en notre faveur, plaide Gonzalo Alba Beteré. On est des gens ordinaires ! Moi j’ai une petite entreprise, il y a des salariés, des retraités... On n’est pas des politiciens professionnels... On n'est pas payés ! Vox doit déclarer en tout et pour tout 18 bulletins de salaire, en comptant la dame qui fait le ménage au siège à Madrid. Personne ne vit de Vox. Personne. C’est pour ça que ce qui nous intéresse, ce n’est ni la fonction, ni le fauteuil, ni le salaire... Nous, on travaille pour l’Espagne". Après une série d'argumentaires plus populistes les uns que les autres (gaspillage d'argent public, attaques contre les ambitions du chef de gouvernement, Pedro Sanchez), Marie-Carmen lâche : "Vox, ils sont nouveaux, on ne les connaît pas bien... Mais s’ils font vraiment ce qu’ils disent, alors je voterais bien pour eux !

Juan Miguel Baquero, journaliste indépendant, auteur de plusieurs ouvrages sur les crimes du franquisme, Andalousie, 11 mars 2019.
Juan Miguel Baquero, journaliste indépendant, auteur de plusieurs ouvrages sur les crimes du franquisme, Andalousie, 11 mars 2019.
© Radio France - Isabelle Labeyrie

Vox s’est imposé dans le paysage politique et médiatique en quelques mois seulement, mais les votes qui lui sont acquis le sont désormais en connaissance de cause, dit Juan Miguel Baquero, journaliste indépendant et collaborateur à www.eldiario.es : "Les gens ne peuvent plus se trouver d’excuse, dire qu’ils ignoraient ce qu’était ce parti... Maintenant, ceux qui votent pour Vox ne peuvent pas ignorer que ce parti est un parti d’extrême-droite. On a appris notamment que le vice-président de Vox a des liens avec la fondation Franco ; ça veut dire qu’ils sont comme Jair Bolsonaro, qui est nostalgique de la dictature brésilienne.... Eux, ils sont nostalgiques de la dictature franquiste, c’est évident ; et s’ils le nient en public... En privé ils s’en cachent beaucoup moins !"

En Andalousie, c’est Vox qui a permis à la droite de monter une coalition et de reconquérir ce qui était depuis 36 ans un bastion socialiste... Une posture de faiseur de roi que le parti devrait retrouver le 28 avril dans d’autres régions. Il est pour l'instant crédité d'environ 10% des voix.

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