Premiers romans de la rentrée (2/2) : une jeunesse désenchantée

Aurore Lachaux, Albane Linyer, Mathieu Palain, invités du Réveil Culturel, rentrée littéraire 2019
Aurore Lachaux, Albane Linyer, Mathieu Palain, invités du Réveil Culturel, rentrée littéraire 2019 ©Radio France - Christophe Abramowitz
Aurore Lachaux, Albane Linyer, Mathieu Palain, invités du Réveil Culturel, rentrée littéraire 2019 ©Radio France - Christophe Abramowitz
Aurore Lachaux, Albane Linyer, Mathieu Palain, invités du Réveil Culturel, rentrée littéraire 2019 ©Radio France - Christophe Abramowitz
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Rentrée littéraire avec six auteurs de premiers romans. Aujourd'hui (2/2), Albane Linÿer, avec "J'ai des idées pour détruire ton ego", Mathieu Palain, avec "Sale gosse" et Aurore Lachaux, pour "Compléments du non"

Avec
  • Aurore Lachaux Romancière
  • Albane Linyer Romancière
  • Mathieu Palain Journaliste, romancier

Lundi-livre

Si  le nombre de romans publiés en cette rentrée littéraire est en légère  baisse (524 nouveaux  romans, soit 23 de moins que l’année dernière), il y a 82 premiers  romans qui sortent entre août et octobre, écrits pour la plupart d’entre  eux par des jeunes auteur(e)s de moins de 30 ans. 

Qui sont-ils, d’où viennent-ils et surtout d’où leur vient cette fureur d’écrire et de décrire  leur monde ? Nous avons rencontré six jeunes écrivains de cette rentrée littéraire. Aujourd'hui (2/2), Albane Linÿer, avec J'ai des idées pour détruire ton ego, paru aux éditions NIL, Mathieu Palain, avec Sale gosse, aux éditions L'Iconoclaste, et Aurore Lachaux, pour Compléments du non, publié aux éditions Mercure de France.

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Albane Linÿer

Née  en 1991 à  Paris, Albane Linÿer a été élevée en Russie, fait des  études de cinéma à Lisbonne et son master en écriture à Londres. Passionnée de langues, de lecture, elle écrit depuis l'enfance et est aujourd'hui scénariste. Elle a aussi créé la première bibliothèque LGBTQ+ itinérante de France, la Bibliothèqueer. C'est la  traversée de la France par une jeune fille de 27 ans, Léonie, qui décide d'aller rejoindre son amoureuse en embarquant dans sa folle aventure la gamine qu'elle gardait chaque soir. Une bébé-Despentes, nourrie aux séries américaines. Extrait. "Molly  a un faible pour les nanas qui n'ont pas de morale, qui ne font pas  semblant de trouver que la vie est un moment sympa. Avec Léonie, tout  était allé très vite. Bonne, mais pas assez pour être difficile, foutue  comme un fil de fer et prête à négocier. Baiser une fille à piercing lui avait donné un sentiment de puissance nouveau, une libido de feu. Les lendemains de soirée de Léonie lui plaisaient  particulièrement: cette agonie excitante, l'envie animale de se faire  prendre. Molly s'était plu à imaginer qu'elles  partageaient une douleur commune, une expérience de l'existence plus  déprimante que celle des autres."

Mon roman parle de Léonie. Signe distinctif : très peu d'ambition, travaille au Mc Do le soir, garde la petite Eulalie. Elle n'a qu'une seule ambition, retrouver son ex avec qui elle s'était dit rendez-vous dans dix ans, et elle attend ce moment. Ce qui l'intéresse, c'est les choses faciles ; baiser, boire, fumer des cigarettes et ne penser qu'à se faire plaisir.

Léonie découvre qu'il y a une vie qui n'est pas celle de son milieu natal et qui est le fun de la communauté Queer. C'est comme ça qu'elle va s'émanciper et atterrir au Mc Do. Ce roman est parti de cette idée de s'affranchir. Je voulais parler d'une personne dans la consommation. Des gens et des sentiments. Il me semble que c'est ce qu'on vit aujourd'hui.

Mathieu Palain

Né en 1988, Mathieu Palain est journaliste. Il a notamment réalisé des reportages pour la revue XXI et collaboré à l'émission Les Pieds Sur terre de Sonia Kronlud_. "Sale Gosse"_ est une plongée dans le quotidien des jeunes suivis par la Protection judiciaire de la jeunesse et de leurs éducateurs. Roman documenté, nourri par les témoignages du père de l'auteur, ancien éducateur, de ses collègues et aussi des personnes croisées lors d'une enquête en immersion pendant six mois au sein de la  PJJ d’Auxerre (Bourgogne) pour la revue XXI.  Extrait : « Ce qui vous serre les entrailles une heure avant d’être jugé par une cour de justice est bien supérieur au stress du tireur de penalty. C’est une peur profonde, qui donne envie de chialer. Au second procès,  l’angoisse s’envole. Le décorum, les personnages, tout cela vous paraît familier. Les jeunes qui débutent dans la  délinquance se repèrent facilement. Ils font les cent pas avec une  pochette cartonnée comme s’ils tournaient au centre commerciale pour déposer un CV » 

J'ai grandi dans une famille soudée, c'est la grande différence avec les sales gosses du bouquin qui ont grandi eux, dans des familles dysfonctionnelles. Mon père était éducateur, à la maison des prénoms revenaient, et je comprenais, même petit, qu'il y avait des situations extrêmes, très compliquées. 

A l'occasion d'un reportage, j'ai passé six mois en immersion au milieu d'éducateurs et d'enfants. L'histoire centrale du livre raconte ce qui se noue entre un gamin et un éducateur qui veut le sauver alors que ce n'est pas son propre gamin. Je ne me substituerai jamais à ces personnes, je leur rends hommage. Le roman me permet une liberté totale.

Aurore Lachaux

Née  à la fin des années 80, Aurore Lachaux est , comme la narratrice de son  premier roman,  enseignante. Autour de la mort de son père, elle livre un texte court et intense sur le monde du travail et met en perspective l'injonction à la productivité et l'humiliation subie au quotidien par les employés des classes moyennes. Extrait :  « Parler, mais parler de qui au juste avec son père ? Parler de politique, du travail, voilà ce qui nous a occupés à l’âge adulte. Parler de nous frontalement était impossible (…) Alors je l’écoutais raconter comment tout cela- son monde- se modifiait, prenait la forme de quelque chose de complètement déconnant : les évaluations  annuelles, les objectifs démentiels à la con, les qualités ou les  défauts dont il fallait se targuer ou bien se défendre, le jeu même pas  amusant qui consiste à dire sans dire, le respect  d’une putain de hiérarchie qui n’a même pas la décence de se reconnaître comme telle quand on attend de celui qui se la tape qu’il se  livre à un examen de transparence complète sur ses « réalisations »  annuelles ». 

La littérature permet de raconter des histoires et tout un ensemble de situations qu'on peut renverser. Le livre relève de la fureur au sens de furor - colère - c'est une sorte de fantaisie, contre la violence. Non, ce n'est pas militant, c'est simplement le fait de vouloir raconter le monde du travail. Raconter ce qui vient par rapport à la mort de l'autre et qu'en faire. Ecrire ? Composer à partir de la mort du père. Beckett fait partie de mes sources d'inspiration, mais aussi Char que je lis, Cossery, Duras... Ecrire c'est une grande joie, un vrai luxe.

Marin Fouqué, Aurore Lachaux, Albane Linyer, Joffrine Donnadieu, Mathieu Palain, Victor Jestin
Marin Fouqué, Aurore Lachaux, Albane Linyer, Joffrine Donnadieu, Mathieu Palain, Victor Jestin
© Radio France - Christophe Abramowitz

Premiers romans de la rentrée au Réveil Culturel (1/1)

Le Réveil culturel
26 min

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