Rencontre avec la romancière, Valentine Goby pour la parution de "Murène" aux éditions Actes Sud.
- Valentine Goby Romancière
Lundi-livre
Tewfik Hakem s'entretient avec Valentine Goby, romancière et auteure de Murène, paru aux éditions Actes Sud. Une histoire située dans les années 1950, aux tout débuts du handisport.
La murène est un animal qui paraît souvent effrayant pour qui la regarde, surtout parce qu'à première vue elle a des dents très acérées, en réalité, si vous avez déjà visité un aquarium, c'est un animal assez timide qui se réfugie dans les anfractuosités de la roche, qui a peur de se montrer comme si elle était consciente de la peur qu'elle suscite, mais qui dès lors qu'elle est dans son élément, l'eau, est un animal magnifique, somptueux même, très habile, très beau à regarder.
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C'est cette ambivalence en fait, qui est une métaphore de mon personnage qui est un monstre et qui va devoir travailler à partir de ce corps neuf qu'il n'a pas choisi, pour se retrouver entier dans un autre élément, l'eau. Il va être aussi confronté au regard des autres, un regard souvent effrayé mais qui lui aussi doit apprendre à être altéré par ce nouveau personnage qui pose des questions à chacun sur son propre corps.
"Ça se passe dans les années 1950, parce que que j'ai voulu m'attacher aux balbutiements du handisport, et cela va être la voix de salut de mon personnage que de découvrir l'eau comme une nouvelle forme de sociabilité"
Ça m'intéressait aussi parce que dans ces années-là, ce qui arrive à mon personnage - qui est une mutilation très grave - se heurte à des échecs très forts des équipes médicales, et lui va devoir compter avant tout sur son imagination pour réinventer sa vie.
On est en 1956 en hiver, il fait très froid, dans les Ardennes, François a vingt-deux ans. Le véhicule qui l'emmène pour travailler dans une scierie tombe en panne, il doit demander de l'aide, et va se trouver à monter sur un wagon d'une voie désaffectée pour essayer de repérer une gare.
"On est au début de la haute tension sur les chemins de fer, et François est victime de ce qu'on appelle un arc électrique, une brûlure extrême, pas seulement de la chair mais de l'intérieur du corps. Il est considéré comme mort et de fait, il l'est. Tant qu'il n'a pas choisi de vivre"
Il découvre les impossibilités totales de son corps, souffre d'une amnésie, il n'a plus souvenir de rien, ne peut plus dire "je". C'est aussi l'histoire d'un homme dont la trajectoire va être de se réapproprier sa propre histoire.
Il observe le monde autour de lui, devient un inventeur génial d'objets pratiques, pourtant dans cette recherche d'autonomie, il va totalement s'isoler du monde, et c'est une échec. Ce qui va lui permettre de véritablement entrer dans le monde en se réinventant, c'est la pratique du sport.
Ce n'est pas de la résilience c'est vraiment de la métamorphose. Mon personnage va s'appuyer sur cette tragédie pour devenir un autre, pour muter. Il y a en François un peu de chacun de nous, et c'est la condition humaine. Qu'est-ce que vivre sinon se métamorphoser cesse en s'appuyant sur les obstacles et les figures d'empêchement que nous n'avons pas choisies pour assumer de nous transformer?
Programmation musicale
Harry Belafonte, Try to remember
“À l’origine du roman, l’image du champion de natation Zheng Tao jailli hors de l’eau aux Jeux paralympiques de Rio en 2016, qui flotte en balise cardinale parmi les remous turquoise. Je contemple l’athlète à la silhouette tronquée, son sourire vainqueur, sa beauté insolite. Autour, les gradins semi-vides minorent cette victoire. Je m’aperçois que j’ignore tout de l’histoire du handisport, ce désir de conformité avec les pratiques du monde valide en même temps que d’affirmation radicale d’altérité, qui questionne notre rapport à la norme. À travers le personnage de François, sévèrement mutilé lors d’un accident à l’hiver 1956, Murène en restitue l’étonnante genèse." V. Goby
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