

Rencontre avec l'écrivain Yannick Haenel autour de deux peintres, Francis Bacon et Le Caravage, à l'occasion de la parution de "Conversations" de Francis Bacon - dont il signe la préface - et "La solitude Caravage", un récit personnel et initiatique autour de la figure du peintre de génie.
- Yannick Haenel Ecrivain
Lundi-livre
Tewfik Hakem s'entretient avec l'écrivain Yannick Haenel autour de deux ouvrages ; Conversations de Francis Bacon (1909-1992), parues aux Editions L'Atelier contemporain et dont il signe la préface - et La solitude Caravage, essai publié aux éditions Fayard, autour de la figure du Caravage (1571-1610) ; une plongée dans ses tableaux, leur violence, leur beauté, leur sublime érotisme.

Bacon n'aime pas la violence, il veut s'emparer de la violence pour lui donner une forme qui la dénude. Il veut dénuder ce qu'il en est de la violence, de la criminalité de l'espèce humaine, lui-même n'est pas un criminel. Je trouve très beaux ces entretiens, ils sont très tendus ; Bacon ne se laisse pas faire, il est tendu comme un fauve. J'ai toujours aimé l'écriture des peintres quand ils écrivent : leurs paroles, leurs engagements, leurs positionnements, on est face à une solitude faramineuse, très rare.
Publicité
Depuis le point où il peint, il répond comme en cage, et paradoxalement, libre, il répond à ces questions comme depuis toujours, au fond. Quand on feuillette ce merveilleux livre avec les photos de Marc Trivier de l'atelier de Bacon, on a affaire à une parole en liberté.

Ce sont mes deux peintres préférés : il y a un engagement total de l'être, et chez Bacon et chez Caravage. Je crois que tous les deux détestent l'idéalisme. Ils ont compris depuis longtemps que la Renaissance, c'est fini, que l'harmonie du monde, l'harmonie des corps, c'est un mensonge. Ce sont deux peintres qui combattent le mensonge en actes : les corps sont crus, le sexe est là - on ne va pas le recouvrir d'un quelconque voile - la violence est le lien social lui-même, et ils peignent cela sans l'aimer, évidemment, en témoins convulsifs de ce qui a lieu.
Dans les années 80, j'étais au pensionnat militaire de La Flèche. En allant à la bibliothèque le soir après l'étude, il y avait un livre de peinture italienne que je chérissais, et un détail d'une peinture m'avait frappé, celui d'une jeune femme très belle dont les sourcils étaient froncés, qui rimaient avec son corsage lacé. Ses bras étaient élancés vers quelque chose qui m'échappait, qui était coupé.
Je suis tombé fou amoureux de cette figure peinte, à quinze ans. J'ai rencontré - comme dirait Lacan - l'objet de mon désir. C'est ma rencontre avec la peinture, une rencontre de nature aphrodisiaque. Je ne savais pas que c'était Le Caravage, ni que cette femme, dont je ne savais pas ce qu'elle faisait de ses deux bras, était en train de couper la tête d'un homme. Judith décapitant Holopherne ...

Programmation musicale :
Serge Gainsbourg, Kiss me hardy
La solitude Caravage, à La Dispute, le 28 février 2019 :
Archive :
La voix de Francis Bacon, en 1975, au micro de Michel Couturier, sur France-Culture
L'équipe
- Production
- Réalisation
- Collaboration