Capucine et Simon Johannin et Joseph Ponthus : se libérer par le style

Simon et Capucine Johannin et Joseph Ponthus
Simon et Capucine Johannin et Joseph Ponthus ©Radio France - Christophe Ono Dit Biot
Simon et Capucine Johannin et Joseph Ponthus ©Radio France - Christophe Ono Dit Biot
Simon et Capucine Johannin et Joseph Ponthus ©Radio France - Christophe Ono Dit Biot
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Cette semaine, place à l’électricité de la jeunesse, aux oiseaux de nuits et aux poètes des usines, on pourrait permuter d’ailleurs, place aux oiseaux des usines et aux poètes de la nuit !

Avec

Nous sommes avec trois écrivains en train d’éclore et de se révéler, ils ont la rage et le ciel dans le cœur, ils nous emmènent respirer le parfum des bulots et lécher le macadam, affronter la violence sociale et la précarité de l’existence par tous les moyens possibles, dont la littérature qui est peut-être le plus immersif des véhicules. Trois écrivains, mais deux romans puisque l’un d’eux a été écrit… à deux ! Bienvenue à Capucine et Simon Johannin, et à Joseph Ponthus !

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Danser pour se sauver la vie.

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A quatre mains comme on dit, Capucine et Simon Johannin publient « Nino dans la nuit » (Allia). Un livre jeune et fort qui nous fait entendre la complainte, au sens de chanson, chanson de geste, même, d’un François Villon du XXIe s siècle, un François Villon qui prendrait des trucs pour ne pas devenir dingue, et qui danserait comme un fou dans la nuit, et qui vivrait dans un appartement au plancher crevé en regardant de l’autre côté du périph Paris, « cette grande crevarde ». Un François Villon du XXIe siècle qui ferait des petits boulots, qui serait amoureux fou d’une fille qui vient de Turquie et qui s’appellerait Lale, et dont on suivrait les aventures dans une ville hostile qui ne devient vivable que quand les lumières du jour s’éteignent et que la nuit en allume d’autres. « Nino dans la nuit » est une déambulation underground racontée dans une langue âpre et énergique qui nous donne des coups de poing, une langue dont les héros sont des laissés pour compte très contemporains dont le lot est peut-être celui de toute une jeunesse qui essaie d’oublier ses souffrances hélas banales mais bien réelles, et insupportables - manque d’argent, difficultés à trouver sa place dans une société trop dure - dans les excès nocturnes. Nino, son père croit qu’il est en train de vivre comme étudiant à paris, alors qu’il n’est en train que d’étudier la meilleure manière de… survivre. Il dit, Nino : « – Il y peut rien mon daron, il sait même pas tout ça, il croit que ça roule, que je m’éclate dans une école et que je pourrai faire un truc qui me plaît vraiment. 

– Pourquoi tu lui dis pas, il pourrait t’aider non ?

–       Parce que je veux pas qu’il sache, il s’est cassé le cul pour moi et je veux pas qu’il pense que ça mène à rien, qu’il voie comment je me démerde pour tout ruiner.  » 

Nous avions reçu, ici même, Simon Johannin pour son premier roman, « l’été des charognes », lauréat du Prix de la vocation en 2017. Il était temps de faire connaissance avec son épouse Capucine, qui était déjà dans l’ombre de ce premier roman. Mais pourquoi nous l’avoir cachée ? 

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Avec eux, Joseph Ponthus, qui publie son premier livre « A la ligne » (La table Ronde), sous titré « feuillets d’usine ». Un livre étonnant qui ressemble, de loin, à un recueil de poésie en prose, et qui fait écho à « Nino dans la nuit » dans la façon qu’il a de dire, au plus près, au plus rugueux, au plus poétique aussi, une violence sociale que l’auteur a connu de près. 

Ne pas crever « à la ligne »

Dans ce livre, où les mots reviennent souvent à la ligne, la ponctuation a disparu pour mieux raconter le quotidien de l’ouvrier que fut Joseph Ponthus, après une hypokhâgne, une khâgne et des années comme travailleur social avant de décider de cingler vers la Bretagne et de se retrouver à l’usine comme ouvrier intérimaire dans l’agroalimentaire, mais pas pour vivre l’expérience des établis comme on disait à la grande époque de la lutte révolutionnaire. «J’écris comme je pense sur ma ligne de production divaguant dans mes pensées seul déterminé/ J’écris comme je travaille/ A la chaîne/ A la ligne », écrit Joseph Ponthus sur ces « feuillets d’usine » qui semblent arrachés à l’épuisement mais qui luisent de références littéraires, Apollinaire, Aragon, Cendrars, comme si seule la littérature permettait à l’auteur de ne pas crever à la chaîne, ou, comme on le dit maintenant, sur ses « lignes de production ». C’est un texte dur et beau, rageur et poétique. « J’égoutte du tofu », écrit-il encore en nous balançant au visage cet absurde bien réel et les caisses de crevettes qu'il faut laver, trier, empaqueter, quand il ne s’agit pas de nettoyer les abattoirs qui puent le sang des animaux découpés à la chaîne…

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Bombarder les âmes.

Deux textes qui ne sont pas sans se faire écho dans la mesure où ils donnent à voir et à entendre le son d’une violence quotidienne. Une violence qui n’est pas celle d’une guerre éclair, d’une guerre totale qui bombarderait des villages entiers, mais d’une certaine forme de conflit non dit qui bombarde les âmes de leurs héros. Qu’attendent ces jeunes auteurs de la littérature, dont on sent qu’elle imprègne leur roman jusqu’au moindre nerf  de leurs phrases ? Le roman serait-il fait aussi pour mettre à jour les violences qui ne veulent pas se dire ? 

Cette semaine, place à l’électricité de la jeunesse, aux oiseaux de nuits et aux poètes des usines, on pourrait permuter d’ailleurs, place aux oiseaux des usines et aux poètes de la nuit ! Nous sommes avec trois écrivains en train d’éclore et de se révéler, ils ont la rage et le ciel dans le cœur, ils nous emmènent respirer le parfum des bulots et lécher le macadam, affronter la violence sociale et la précarité de l’existence par tous les moyens possibles, dont la littérature qui est peut-être le plus immersif des véhicules. Trois écrivains, mais deux romans puisque l’un d’eux a été écrit… à deux ! Bienvenue à Capucine et Simon Johannin, et à Joseph Ponthus !

Choix musical de Capucine et Simon Johannin :"Contrefaçon, Danser Penser"

**Choix musical de Joseph Ponthus "**Temps des Cerises" dans la version de Pascal Comelade